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S.T.A.L.K.E.R. 2: le jeu de guerre qui a failli être victime de la guerre en Ukraine

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Disponible ce 20 novembre, S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl arrive enfin sur consoles et PC. Fruit d’une attente de plusieurs années pour les fans. Une production qui a failli ne jamais voir le jour en raison de la guerre en Ukraine et de l’invasion russe.

Annulation, puis pandémie, et ensuite la guerre... S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl conclut en ce mois d’octobre son développement chaotique. Un développement qui aura duré six ans, du jamais vu dans la production d’un jeu vidéo de ce type. Développé par le studio ukrainien GSC Game World, le projet arrive ce 20 novembre prochain sur Xbox Series X et PC, et signe surtout le retour d’une franchise culte, qui a traversé bien des épreuves avant d’enfin arriver sur les étales.

"Libre d’être celui qu’il veut être"

"Là-bas [à Tchernobyl], on se sent rattaché à l’histoire et à ce qui s’est passé dans la zone (...) On a compris à quel point tout pouvait vite s’arrêter et comment, d’un seul coup, quelqu’un pouvait tout perdre," confie Oleksandr Ocherklevych, Community Manager, en introduction du long documentaire lancé il y a quelques jours sur Youtube, et qui permet de mieux comprendre les coulisses du développement du jeu.

S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl raconte la vie de mercenaires évoluant dans la zone interdite et radioactive de Tchernobyl, celle-là même où une catastrophe nucléaire a eu lieu en 1986. Une histoire peu commune, fruit de tous les fantasmes, mais qui fait écho aujourd’hui, alors que la Russie a envahi l’Ukraine en février 2022.

"Ce qui est important n’est jamais facile," raconte Mariia Grygorovych, productrice exécutive, "dans le jeu, nous voulions que le joueur soit libre, libre de jouer comme il veut, libre d’être celui qu’il veut être."

S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl est décrit comme "un désir d’indépendance et de liberté", et son développement le prouve. Tout semble bien se passer entre 2018 et 2021. Le studio est en pleine production et compte alors lancer son titre dès l’année suivante. Mais alors que les progrès se font plus importants, la Russie décide d’envahir l’Ukraine, provoquant le chaos et créant un avenir incertain pour le peuple ukrainien et donc pour son ambassadeur vidéoludique.

Face caméra, un militaire ukrainien, également développeur du jeu, fait part de ses inquiétudes: "Je savais qu’il y aurait tôt ou tard une invasion."

S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl
S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl © GSC Game World

"Partir n’est pas une option"

Quelques semaines avant la guerre, les dirigeants de GSC Game World racontent le plan prévu en cas d’invasion: "Le plan était de partir en bus à Oujhorod", située à moins de 50 kilomètres d’une frontière de l’OTAN - empêchant de fait des tirs de missiles russes, sous peine d’entraîner une réaction de l’organisation du traité de l'Atlantique nord. En janvier, de nombreux bus sont alors affrétés, prêts à partir à la moindre menace, et ce, dans le plus grand secret.

Pour beaucoup, néanmoins, "partir n’est pas une option". La fibre patriotique qui s’empare des ukrainiens est trop forte, il faut défendre son pays coûte que coûte.

Le jour de l’invasion, alors que toute l’équipe se réunit au studio, les bus patientent: "Ce qui n’était qu’un sujet de discussion est devenu très sérieux," raconte Maksym Hnatkov, un développeur.

Pour ceux qui décident de rester, la réalité est cruelle: "Au moins, on se disait qu’une majorité de l’équipe était en sécurité, et que le jeu allait bien sortir."

La peur fait place au chaos, notamment pour GSC Game World, qui doit alors composer avec un cruel manque d’équipement. Malgré les précautions prises en amont, le plus gros de l’équipement nécessaire au développement d’un jeu est resté à Kiev. Mais il paraît clair, jour après jour, qu’une sortie en 2022 est plus que compromise.

"Nous avions le sentiment que nous n’allions pas pouvoir continuer le projet," évoque un développeur, et pas uniquement pour des raisons d’équipement, mais parce qu’autour d’eux, "tout le monde meurt". Le sentiment de terreur émanant des bombardements incessants au début du conflit traverse régulièrement le documentaire qui dresse un portrait sans filtre d’un studio en crise, d’une nation face à son destin.

S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl
S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl © GSC Game World

Si le conflit oblige le studio à se mettre en stase, les choses reprennent en mai 2022 à Prague. Ceux qui ne sont pas allés à la guerre ou ne sont pas restés en Ukraine avec leurs proches s’embarquent pour la République tchèque où GSC Game World va ouvrir une succursale temporaire et à l'abri des raids aériens en plus des locaux à Kiev: "Il fallait tout reprendre de zéro," évoque Mariia Grygorovyc.

Un déménagement forcé et du piratage

Si les bases sont désormais saines, le studio doit néanmoins refaire des pans entiers de S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl, en engageant de nouveaux acteurs pour remplacer certains partis au front ou qui ont coupé tout contact. Et c’est sans compter sur l’absence de la motion capture ou d’un studio d’enregistrement. Épuisée, l’équipe de développement tient le coup. Dans le même temps, GSC Game World annonce l’annulation du titre en Russie, ainsi que le doublage dans cette langue, ainsi qu’une localisation en ukrainien aux côtés de l’anglais: "La décision d’abandonner le marché russe était la bonne décision mais pas sans conséquence."

Des jours durant, des pirates russes vont tenter d’infiltrer les serveurs de l’entreprise et dévoiler des informations confidentielles sur S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl et ses développeurs en ligne. Certains vont même appeler l’armée russe à bombarder les habitations des membres du studio, photos à l’appui: "Ce n’est pas acceptable, ce n’est pas normal."

Malgré tout, des efforts sont fait pour être présent à la Gamescom 2023. Le salon allemand sera ainsi le premier à disposer d’une version jouable, loin d’être finalisée, du jeu. Sur le stand Xbox, qui est partenaire de S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl, et où le jeu sortira sur le Game Pass à son lancement, les fans sont nombreux à découvrir manette en main cette suite attendue depuis des années. L’engouement est là, mais le constat reste amer: le jeu doit encore être reporté de plusieurs mois, jusqu’en septembre 2024, puis en novembre de la même année.

S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl
S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl © GSC Game World

"Nous faisons tout notre possible pour arriver aux meilleurs résultats," affirme Mariia Grygorovyc, qui fait part de son admiration devant le travail accompli dans des conditions pour le moins catastrophiques. "Derrière chaque élément du jeu, derrière chaque histoire, il y a une personne qui a donné tout ce qu’elle avait," ajoute un des game designer.

"Réalisé en Ukraine" devient alors la marque de fabrique de S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl. Le documentaire, poignant, se conclut sur la note optimiste que le jeu sortira - ce qui est bien le cas. Gageons qu’il finira par la victoire d’un studio ce 20 novembre 2024 sur PC et Xbox Series X/S.

Sylvain Trinel