Arcane: comment "League of Legends" est devenu une série très française

"Arcane", une série à succès conçue en France - Netflix
Dans les étages d’un bâtiment du 13e arrondissement où l’on s’affaire, la décoration annonce tout de suite la couleur des lieux. Si l’on distingue quelques figurines connues, les images au mur ne trompent pas: on pourrait se croire à Runeterra, en pleine partie de League of Legends. Mais ici, ce sont les visages de Vi, Jinx, Ekko ou encore Caitlyn et Heimerdinger aperçus dans la série Arcane que l’on reconnaît. Bienvenue chez Fortiche Production!
Car c’est sur ses deux étages que l’on peaufine les derniers réglages, les dernières images de la saison 2 du show diffusé dès ce samedi 9 novembre sur Netflix. Pas question de copier-coller la patte graphique de League of Legends dont Arcane s’inspire de l’univers. Fortiche a su imposer son style sans trahir celui de Riot Games. Une recette qui a fait le succès des premiers épisodes diffusés il y a déjà trois ans sur Netflix.

Pourtant, longtemps avant de visionner les premières minutes de la série, les fans avaient fait part de leur scepticisme de voir leur jeu préféré devenir une série animée. Cinq ans de préparation, d’échanges et de conception avant qu’Arcane et ses héroïnes ne déboulent sur les écrans et tracent leur route vers un succès unanime.
Un succès surprise
“On sait qu’il y a une attente forte des joueurs, on l’a déjà vue avec les premières cinématiques”, s’enthousiasme auprès de Tech&Co Christine Ponzevera, productrice de la Saison 2, contente que les fans de la franchise soient aussi impatients que ceux de la série. “On ne s’attendait pas à ce qu’il y ait réunion aussi vite. C’est une réponse aussi positive que rapide, au-delà de ceux qui connaissaient l’univers de League of Legends. Ça a été une surprise.”
Arcane, c’est avant tout l’histoire d’une rencontre entre Christian Linke de Riot Games, créateur et showrunner de la série, et Pascal Charrue, Jérôme Combe et Arnaud Delord, les fondateurs de Fortiche. C’est alors un petit studio parisien qui fait des publicités et des vidéos. C’est son clip La Gaviota pour le groupe Limousine qui les met dans le viseur de Riot. “Christian (Linke) avait trouvé le look tout à fait nouveau, intéressant et élégant,”, explique-t-elle. “Il s’est rapproché d’eux en disant: “j’aime ce que vous faites, ça vous dirait de travailler avec nous?'".

Aucune hésitation du côté de Fortiche. La collaboration démarre par quelques trailers et vidéos pour promouvoir League of Legends. Des rounds d’observation avant de se voir proposer en 2016 un projet beaucoup plus ambitieux. “Il y avait une envie de développer des histoires autour des personnages, de l’univers de LoL”, ajoute-t-elle. “L’univers de l’animation n’est pas si loin de celui du jeu. On a beaucoup de passionnés de jeux vidéo dans nos équipes. Les cinématiques, les animatiques et autres trailers de jeu, on les regarde.”
Un studio qui veut “révolutionner l’animation"
Les deux partis se sont tout de suite entendus. “Fortiche était le partenaire idéal. On était sûr qu’ils seraient sur la même longueur d’onde, parce qu’ils voulaient vraiment révolutionner l’animation”, reconnaît Christian Linke. “On savait tous qu’on se donnerait à 150% pour trouver le moyen de concrétiser ce rêve”.
Ce rêve, il a pris son temps. Cinq ans — en raison en partie du Covid et du confinement de 2020 — et un budget murmuré conséquent pour ne faire aucun compromis sur l’ambition de LoL de se muer en série animée. “On voulait faire quelque chose de plus dramatique, qui respecte le spectateur, que ce projet soit au niveau de nos franchises et jeux vidéo préférés”, ajoute-t-il. Fortiche et Riot ont collaboré étroitement pour rester fidèles à l’univers de LoL sans cependant se départir de l’idée d’être une véritable série d’animation avec ses éléments propres.
Son scénario tout d’abord. Si la majorité des personnages sont connus des joueurs, les terres de Runeterra aussi, l’histoire est propre à la série. “La série est conçue pour les joueurs et les non-joueurs, avec des détails subtils”, rappelle sa productrice qui insiste sur le fait que chaque personnage a été une création propre à Fortiche, avec les conseils de conception de Riot, “l’encyclopédie et le garde-fou”. “Il était important que nous restions fidèles à nous-mêmes, de ne pas chercher à faire un jeu, mais plutôt un film avec une vraie dramaturgie, martèle la responsable. “Riot nous a parfois suggéré d’injecter des choses, des éléments des références. Mais on a aussi apporté notre pierre à LoL”.
Que ce soit du côté de la direction artistique d’Arcane, de la conception visuelle des personnages emblématiques, Fortiche a eu une certaine liberté, avec la validation finale de Riot. “Il faut qu’on reste fidèle, car on est surveillé par tous les fans. On doit respecter le matériau d’origine, mais on est dans autre chose, on fait du cinéma”, analyse Julien Georgel, directeur artistique d’Arcane. “On n’a pas la même approche qu’un jeu vidéo qui doit être hyper catchy tout de suite. Nous allons enrichir les personnages, l’univers, rendre le tout plus subtil et plus profond pour accompagner la narration plus sérieuse et dramatique dans la série.”
Ambessa, de la série au jeu
Le travail de Fortiche a aussi consisté à ramener plus de détails à des décors, des régions et zones pourtant présentes dans l’univers de League of Legends, mais qu’ils ont pu concevoir plus largement pour “ramener plus d’éléments de la réalité” et rendre le tout “moins caricatural”. Et de s’inspirer des rues de Paris, de l’animation japonaise, du steampunk ou encore de l’artiste tchèque Alfons Mucha.
Mais “C’est une vraie bonne collaboration, c’est-à-dire que ça reste toujours eux qui valident au final, mais on avait quand même des sujets, des personnages ou des éléments qu’on a pu apporter”, se félicite Julien Georgel qui avoue que c’est parfois Fortiche qui a dû freiner les ambitions visuelles de Riot. Le studio français a réussi à apporter sa touche à LoL. Avec notamment le personnage d’Ambessa, aperçu dans la série. Elle est une création visuelle de Fortiche, conçue par les scénaristes. “On l’a créée chez Fortiche et on lui a donné toute sa dimension de puissance et de guerrière. Et maintenant, elle fait partie du jeu. On a réussi à pousser la collaboration jusque-là aussi”, annonce fièrement Christine Ponzevera.

Mais l’une des plus grandes fiertés de Fortiche, c’est aussi d’avoir su fédérer les joueurs dans les pas de sa créativité. “On est ravi qu’ils trouvent autant de joie et de plaisir à décortiquer le travail qui a été fait sur l’image, sur les histoires, le soin et la qualité artistique, pour retrouver ce qu’ils aiment le plus dans le jeu,” se félicite Christine Ponzevera, ajoutant que les équipes ont même glissé des easter eggs dans la série pour ravir les plus connaisseurs.
La saison 2 ne devrait donc pas les décevoir. Commencé avant que la saison 1 ne soit diffusée, elle vient boucler un arc narratif autour de l’histoire de Vi et sa sœur Jinx, de ce conflit entre Piltover la ville riche et Zaun, les insalubres bas-fonds. “Le vrai challenge, c’était de bien finir cette histoire, pousser les émotions et pousser le spectacle en respectant la confiance placée en nous”, résume-t-elle. "Même si on n'a apporté quelques petits changements visuels, donné une sensation plus sombre, on espère ne pas décevoir ni les joueurs ni les fans de la série."