Oh Bibi, le petit studio parisien qui a séduit Apple avec ses jeux vidéo

Niché au coeur de la capitale, à deux pas de la gare Saint-Lazare, on a tout d'abord l'impression de rentrer dans un bâtiment Art déco ou une ancienne banque réaménagée. C'est pourtant derrière la grande porte en verre et fer forgé que se cache le studio de jeux vidéo Oh Bibi.
Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais il n'est pas impossible que vous ayez déjà joué à l'un des jeux mobiles sortis de l'esprit créatif de ces anciens de chez Gameloft (FRAG Pro Shooter, Motor World: Car Factory, Go Go Magnet...). Après plus d'une décennie à créer des jeux mobiles free-to-play, ils démarrent une nouvelle aventure avec leur dernier jeu, BEAST, exclusivement conçu pour Apple Arcade. Une forme de reconnaissance pour le studio parisien.
Des rendez-vous dans des pièces secrètes
"On a une relation avec Apple depuis longtemps, car nos jeux précédents étaient déjà sur l'App Store, chez Gameloft comme nos premiers ici", explique à Tech&Co Martial Valéry, le cofondateur de Oh BiBi. "On a travaillé sur les premiers titres pour iPod, pour iPhone et même iPad. Personne ne le savait à l'époque qu'on planchait dessus. C'était hyper secret, avec des rendez-vous dans une pièce secrète."

Alors, quand Apple les contacte fin 2022 pour réfléchir à un jeu Apple Arcade, ils sont plus que flattés, conscients aussi de la pression de travailler pour un tel géant exigeant, loin de leur tranquillité habituelle. "Je pense qu'on a une philosophie commune. C'est peut-être un peu prétentieux de dire ça, mais cette attention à la qualité de l'expérience, aux détails pas forcément visibles tout de suite, à la qualité du produit... Ce sont des éléments sur lesquels on se rejoint", avance Martial Valéry.
Et la relation se déploie sereinement. "Ils n'ont jamais été directifs ou intrusifs", tient à signaler le cofondateur. "On pensait même qu'ils interviendraient bien plus, mais ils nous ont laissé toute liberté créative." Apple avait évidemment un droit de regard, un planning à imposer, mais a toujours été enthousiaste face au projet, se félicite le Parisien.
Faire un jeu de tir pour Apple Arcade, un service qui se veut familial, sans violence ni sexe ou autre, n'a rien d'une demande facile. "On sait que c'est un genre majeur, sur consoles et PC en tout cas. Mais même sur mobile, il y a une forte demande", souligne-t-il. "Ce qui était compliqué, c'était de trouver une façon de faire qui est compatible avec une plateforme familiale, et accessible par tous types de joueurs, novices ou expérimentés".

Faire un jeu de tir, sans tirs violents ni violence
BEAST suit donc cette ligne de conduite. Si FRAG était un jeu de tir classique, BEAST est son équivalent... "sans tirs violents, sans violence". Les équipes d'Oh BiBi n'hésitent pas pour autant. Si elles envisagent un temps d'adapter une licence connue et de l'adapter, elles préfèrent finalement créer leur propre univers et leur propre marque.
"On savait faire des jeux de tir, on l'a prouvé avec FRAG, donc pas de raison de ne pas savoir l'adapter à un univers non violent avec des personnages humains", martèle le directeur créatif. "Si tu tires, il y a toujours une forme de violence, même dans Space Invaders puisque tu détruis. Mais il n'y a pas de sang ! Il faut juste le faire dans un environnement fun, coloré et non violent.
Le jeu reprend des codes que ne renierait pas Splatoon, la référence du jeu de tir sans violence. On y trouve des animaux façon Disney ou Pixar qui parlent, avec un look fun, des robots méchas "hyper bad ass" inspirés de TitanFall, et des combats par équipes à la Brawl Stars. On peut y jouer en 3 x 3 avec ses amis ou face à l'IA. Les parties sont nerveuses et rapides, respectant les codes du jeu mobile en cela.

Le tout est assorti d'une touche d'humour dans les dialogues qui correspond bien à l'esprit qui se dégage des lieux de création et de la définition de Oh BiBi. "Pourquoi on s'appelle comme ça? Parce que c'est drôle", s'amuse Martial Valéry. BiBi, c'est en fait le chat de Stanislas Dewavrin, le cofondateur et patron du studio. Un animal qui mit longtemps l'animation dans les bureaux en faisant des bonds partout, au grand dam des employés amusés. Et le clin d'oeil va même plus loin: dans BEAST, on commence par jouer... un chat !
BEAST, le premier jeu français inédit d'Apple Arcade
En atterrissant sur Apple Arcade, une première pour un jeu français créé exclusivement pour le service (Gameloft a réadapté d'anciens titres), BEAST va pouvoir étendre son terrain de jeu à de multiples supports (iPhone, iPad, TV, Mac). De quoi se défaire aussi pour le studio de son image de spécialiste du jeu mobile.
"Il n'y a pas de jeu mobile. Il n'y a que des jeux et des supports différents", rappelle-t-il. "On a un vrai passé de joueurs. On peut faire des jeux pour tous les supports, mais avec toujours ce même focus de qualité. Nous voulons être toujours hyper fiers de nos jeux et de qu'ils apportent de sentiments et d'émotions." Oh BiBi reconnaît néanmoins que cela a été un travail pour les équipes de s'assurer que le jeu pouvait s'adapter à n'importe quel type de support, n'importe quel type d'écran et de taille, et d'être aussi jouable du bout des doigts comme à la manette.

C'est un des points positifs apportés par l'expérience Apple Arcade, selon lui. "On a gagné en expérience, mais on a aussi pu apporter une attention plus précise au design, aux personnages, là où, quand tu fais du free-to-play, tu fais peut-être moins attention pour privilégier la quantité de personnages disponibles", rappelle-t-il, admettant que le même jeu pour plusieurs stores aurait eu "une production sans doute un peu différente."
Changer sa manière de concevoir un jeu
Et c'est aussi là un point à prendre en compte pour un petit studio d'une quarantaine de personnes: le jeu est une exclusivité et ne sera pas disponible sur le Google Play Store ou même l'App Store. Un manque à gagner potentiel en achats intégrés qu'il a fallu prendre en compte, même si la somme perçue pour concevoir le jeu couvre sans doute aisément la perte.
Il a fallu aussi changer la façon de procéder durant la production pour travailler sur un jeu qui doit rester secret jusqu'à sa sortie et être déployé partout dans le monde en même temps. "D'habitude, on sort dans peu de pays et on optimise avec les premiers retours. Là, on doit tout faire en amont pour que ce soit parfait le jour J", confie Martial Valéry.

S'il y a quelques concessions à faire sur les habitudes, il sait aussi ce que cela apporte de faire un jeu pour Apple. "On est regardé autrement dans le milieu aussi. Parce qu'on a Apple en soutien, on peut aussi attirer des talents qui ne seraient peut-être pas venus auparavant", reconnaît-il. Oh Bibi a ainsi attiré dans ses filets d'anciens développeurs et créatifs de chez Ubisoft Montpellier, le studio qui vient de sortie Prince of Persia: The Lost Crown et travaille sur Beyond Good & Evil 2.
"On espère que notre jeu sera le Ted Lasso d'Apple Arcade, la bonne surprise de grande qualité", s'amuse-t-il. "C'est une opportunité qu'on ne regrette pas, on va travailler dessus pendant longtemps avec les évolutions prévues sur six mois déjà. Et peut-être plus si le jeu plaît. En tout cas, ça nous a déjà fait grandir comme studio."