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Piratage: le football français peut-il lutter contre les IPTV?

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Avec la montée des prix des abonnements pour regarder les matchs de football, les internautes s'organisent grâce aux IPTV dont l'utilisation est illégale et pas sans danger pour protéger ses coordonnées bancaires.

Dès ce week-end, la Ligue 1 McDonald's démarre sa saison avec un nouveau diffuseur. Au terme d'un été de tous les dangers pour la Ligue de football professionnel (LFP), c'est DAZN qui a finalement récupéré le championnat de football regroupant les clubs français dont le PSG et l'Olympique de Marseille.

Mais ce nouvel acteur a également dévoilé son offre, aux tarifs particulièrement élevés (30 euros par mois pour la Ligue 1 avec un engagement d'un an, et jusqu'à 65 euros par mois pour accéder à l'ensemble des matchs de Ligue 1, Ligue 2 et de Ligue des Champions), au point que sur les réseaux sociaux, les amateurs du ballon rond réalisent une campagne de boycott. Ces derniers appellent à ne pas s'abonner. Sur X (ex-Twitter), le mot-clé #BoycottDAZN est depuis plusieurs jours en tête des tendances.

L'explosion de l'offre officieuse

Quelles options alors pour ceux souhaitant tout de même voir les matchs? Légalement, il est toujours possible d'aller regarder les matchs dans un bar qui est autorisé à les diffuser... Mais certains se tournent vers une solution totalement illégale, et pas sans danger: L'IPTV (pour "Internet Protocol Television"). En l'occurrence, il s'agit de plateformes diffusant en toute illégalité des programmes assujettis à des droits et à des exclusivités de diffusion. C'est le cas de tous les sports proposés derrière un abonnement chez Canal+, RMC Sport, beIN Sports ou encore DAZN.

Pour fonctionner, ces plateformes détournent le flux des chaînes et le renvoient à leurs propres abonnés, moyennant un coût, inférieur au flux officiel: il va de quelques euros à plusieurs dizaines d'euros par an. Pour regarder sur sa télévision, il faut aussi s'équiper d'une petite box.

Au sein de cette véritable industrie du piratage, les fournisseurs d'IPTV pullulent sur les réseaux sociaux ou même sur des marketplaces, proposant leurs offres.

Selon une étude de l'Audiovisual Anti-Piracy Alliance, datant de 2022, 5,1% des Français âgés de 16 à 74 ans utilisaient un IPTV. Au niveau européen, cela représentait une perte de plus de 3 milliards d'euros pour les ayants-droits.

La lutte est lancée

Alors forcément, c'est un gros enjeu pour le monde du football, qui utilise les droits TV pour financer le budget alloué aux différents clubs. Pour cette saison, DAZN a déboursé 400 millions d'euros pour la diffusion des matchs.

Ne rien faire contre l'IPTV revient donc, en théorie, à baisser la valeur d'un droit sportif en particulier. Surtout, le spectre Mediapro plane encore sur le championnat français. Arrivé en France en 2021, le groupe espagnol avait acquis à prix d'or les droits mais avait fermé sa chaîne 6 mois plus tard, incapable de payer ses échéances, faute d'abonnés.

Forcément, la gamme de prix de DAZN laisse craindre le même résultat avec une explosion du piratage via IPTV.

Alors la lutte institutionnelle se renforce notamment en France, avec la création en 2022 de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), fusion de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (ex-Hadopi) et du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). L'enjeu est alors d'accélérer sur la fermeture des sites pirates en renforçant l'arsenal juridique.

Le 2 août dernier, la LFP a ainsi remporté un procès contre plusieurs sites de streaming et d'IPTV. Le tribunal judiciaire de Paris a imposé aux opérateurs un blocage de ces sites illégaux.

La France n'est d'ailleurs pas le seul pays européen à tenter d'endiguer le phénomène de l'IPTV. En 2022, c'est un réseau de 9.000 chaînes qui a été coupé par la police espagnole pour un préjudice estimé à 1,2 million d'euros, soit montant généré par les sites entre 2017 et 2021.

Des risques pour les utilisateurs

Mais ces victoires sont en trompe l'œil. Le blocage d'un site internet n'est qu'un coup d'épée dans l'eau compte tenu de la facilité pour celui-ci d'outrepasser une décision de justice. A l'instar des sites permettant de télécharger illégalement des films et séries, il lui suffit généralement de changer de nom de domaine ou encore d'opérer à l'étranger en modifiant l'adresse IP associée au site, ou d'appeler sa communauté à utiliser un VPN, un outil pour tromper la géolocalisation en France.

Quant aux utilisateurs, ils sont en théorie coupables de recel de contrefaçon, mais les sanctions sont inexistantes, l'Arcom visant spécifiquement les diffuseurs, comme le précise la loi. S'attaquer aux utilisateurs serait compliqué: l'échec de la lutte contre le piratage avec Hadopi a démontré l'ampleur de la tâche, même si les derniers chiffres de l'Arcom montrent une amélioration des résultats dans ce domaine.

Mais attention, d'autres risques existent pour le consommateur, et en premier lieu: celui de se faire voler ses coordonnées bancaires en s'abonnant à un IPTV, sans forcément obtenir le flux pirate souhaité, mais aussi se faire pirater en activant un lien frauduleux.

Alors le meilleur moyen de lutter contre le piratage est-il de proposer des abonnements abordables? Spotify ou Deezer ont largement fait reculer les téléchargements illégaux de MP3 dans la musique, mais ces plateformes sont piratées à leur tour.

Il n'empêche, l'explosion de l'IPTV jette forcément une ombre sur le foot français qui n'a visiblement pas trouvé la bonne recette pour ses droits TV.

Sylvain Trinel