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Pourquoi la vérification d'identité sur les réseaux sociaux pourrait être contraire au droit européen

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Des députés veulent obliger les internautes à faire vérifier leur identité avant d'accéder aux réseaux sociaux. Mais pour de nombreux spécialistes, impossible d'adopter cette mesure sans enfreindre le droit européen.

"A ma connaissance, aucun pays ne l'a fait, sauf la Chine." Le constat d'Eric Le Quellenec, avocat spécialiste des nouvelles technologies, est sans appel: des députés Renaissance veulent obliger les utilisateurs des réseaux sociaux à faire confirmer leur identité pour pouvoir créer un compte, mais cette obligation serait incompatible avec le droit français et européen, d'après plusieurs avocats spécialisés interrogés par l'AFP.

Dans le cadre du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN), des amendements déposés par plusieurs députés Renaissance obligeraient les utilisateurs des réseaux comme Facebook ou Tiktok à faire certifier leur identité. Le but de la mesure, selon ses défenseurs: lutter contre le sentiment d'impunité en ligne et les propos haineux, qui seraient encouragés par l'utilisation de pseudonymes.

Mais ces amendements ne sont pas soutenus par le gouvernement, comme l'a rappelé le ministre délégué au Numérique Jean-Noël Barrot. La raison: ils pourraient être contraire au droit européen. Une analyse partagée par de nombreux avocats spécialisés.

"Une inversion des valeurs fondamentales"

En France, l'anonymat total sur internet n'existe pas vraiment. Le droit au pseudonymat (la possibilité d'utiliser un pseudonyme) a été acté par les lois sur la confiance dans le numérique de 2004 et sur la république numérique de 2016.

"Au niveau européen, le droit ne parle pas de pseudonymat mais il est gravé dans le marbre qu'il est interdit de mettre en place une surveillance permanente et généralisée des réseaux sociaux, comme le dit une directive de 2000", explique Eric Le Quellenec, avocat du cabinet Simmons et Simmons.

"Or le corollaire, c'est la possibilité du pseudonymat, pour que ceux qui s'expriment ne soient pas directement identifiés", poursuit l'avocat spécialiste des nouvelles technologies.

"Obliger les personnes à certifier leur identité au préalable sur un réseau social, même avec un tiers de confiance et l'intervention nécessaire d'un juge pour lever cet anonymat est incompatible avec le droit européen", affirme Eric Le Quellenec.

En cas d'adoption des amendements portés par certains députés de la majorité, "on passerait d'un système de liberté totale à un régime déclaratif. On renverse le droit d'accès au réseau, avec le principe 'identifiez-vous d'abord', une inversion des valeurs fondamentales", insiste l'avocat spécialisé.

Plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l'homme montrent qu'elle considère l'anonymat comme un élément clé de la liberté d'expression.

"Techniquement, il y aurait des contournements"

Même avis pour Eric Barbry, du cabinet Racine. "Dans les faits, vouloir lever l'anonymat ne marchera jamais, ni techniquement ni juridiquement. Ni le Conseil constitutionnel, ni la Commission européenne ne pourront valider des projets qui interdisent l'anonymat".

"Techniquement il y aurait des contournements", ajoute le juriste. "Sans parler des cas où l'hébergeur n'est pas en France", une problématique qui complexifie déjà l'application de certaines mesures, comme le contrôle de l'âge des utilisateurs de sites pornographiques.

"Agir sous pseudo n'est pas un délit, tout comme publier un livre ou un article sous pseudo", renchérit Amélie Tripet, du cabinet August Debouzy. "Quand on créé un compte sur une plateforme ou un réseau social, on est censé déclarer des informations sincères, mais ces plateformes n'ont pas l'obligation de vérifier et certifier ces informations."

Cependant, comme plusieurs de ses collègues, elle regrette qu'il soit le plus souvent impossible, ou très long, de retrouver les auteurs de propos délictueux sous pseudo, même si pour les plus graves les enquêteurs peuvent faire une réquisition auprès des opérateurs pour obtenir leur adresse IP (adresse de connexion).

L.C. avec AFP