"Je commence à être à bout": la détresse de la streameuse Ultia face à ses cyberharceleurs au tribunal

Ce 21 janvier, la streameuse Ultia était au tribunal pour faire face à ceux qui la harcèlent depuis plusieurs années. Un procès à l'heure où les créateurs de contenus demandent à être pris au sérieux sur le sujet.
"On dit Ultia ou Ulssia?" lance le président, qui se décrit lui-même comme "peu sur les réseaux sociaux". Face à lui, deux jeunes hommes d'une vingtaine d'années et un homme de 40 ans, tous accusés d'avoir tenu des propos sexistes, insultants, des menaces de mort, dans le cadre d'un cyberharcèlement massif.
Un grand absent pointé du doigt lors du procès
En 2021, lorsqu'Ultia participe au ZEvent et qu'elle pousse un coup de gueule suite au comportement jugé problématique d'Inoxtag, également au casting, avec l'une de ses invités, un torrent de haine prend place sur les réseaux sociaux, mais également sur la plateforme Twitch.
"Je reçois depuis le ZEvent une multitude de tweets, où l'on me traite de pute, de salope, de grosse folle," explique Ultia, à la barre.
Depuis, Ultia subit régulièrement des vagues de messages haineux en fonction de certains événements ou de propos de streamers, dont Pfut, qui avait été banni en janvier 2022, la plateforme de streaming lui reprochant d'avoir participé au harcèlement de la créatrice de contenu.
À sa droite, des accusés dont seul l'un d'entre eux, déjà condamné dans une affaire de harcèlement sexuel, est représenté d'un avocat. Son conseil, échouant dans sa demande d'expertise psychiatrique - sa précédente remontant à 2018, trois ans avant les faits - et donc d'un renvoi, parle d'un homme avec une "problématique psychiatrique importante" et citant des propos reprochés "non menaçants, non violents". Nazim H. est soupçonné d'être l'auteur de propos sexistes à caractère sexuels: "Tu aimes les chibres, c'est clair", "tu montres ta vraie nature de cochonne".
"Au début ça allait, mais là, je commence à être à bout, je me suis renfermée sur moi-même," confie Ultia face à ces propos répétés à l'audience. "Quand je passe à côté d'un groupe de jeunes, j'ai peur qu'ils me reconnaissent et qu'ils ne m'aiment pas."
"Je suis fatiguée, j'ai déjà parlé à trois policiers, un gendarme, trois psychiatres, sans compter les rendez-vous avec mon avocate. Je suis épuisée, je veux que ça s'arrête," lâche Ultia, très émue face au président du tribunal.
Un impact émotionnel "très fort"
Pour celle qui ne veut pas être vue comme "la défenseuse de la cause des femmes", la situation initiale n'était juste pas normale: "Tout le monde devrait trouver ça anormal, et pourtant, ces cinq minutes où je m'étonne de la situation me sont quotidiennement reprochées."
Elle décrit une situation ayant eu un impact "très fort" sur son mental, mais aussi sur sa vie personnelle et professionnelle: "Aujourd'hui je suis suivi, enfin, car je me suis délestée d'une charge qui m'a pris tellement de temps et d'énergie."
Preuves en main, elle confirme avoir été écartée de certains événements, dont l'émission Popcorn, le talk show à succès de Domingo: "Il ne voulait pas encaisser ce que ma présence implique. C'est une double peine." Une absence qui cause une perte financière, environ 250 euros par apparition selon le profil de l'invité.
En larmes, Ultia raconte également comment ce harcèlement a pu rejaillir sur ses proches: "Je veux que les personnes qui m'ont fait subir ça aient une décision à la hauteur de ce dont j'ai été victime. Je veux aussi que ça puisse aider les autres femmes, qu'on puisse mieux évaluer les retombées d'un tel harcèlement."
"C'est comme une amie"
"On ne peut pas s'exprimer librement sur internet," explique Nazim H., 39 ans, persuadé que le coup de gueule d'Ultia est un coup monté du ZEvent.
"Il n'y a pas de propos graves dans ce que j'ai dit," lance-t-il penaud.
"C'est comme une amie," explique Nazim H., justifiant cette dénomination par une manière de jouer bien à lui: en la regardant. "Un jour, elle est venue en live avec une assiette de pattes et une saucisse," veut-il préciser lorsqu'il s'agit d'expliquer pourquoi il l'a accusée "d'aimer les chibres". Il s'agace alors, face au président, refusant d'y voir sa propre interprétation: "Elle se dit féministe, mais elle compare une saucisse avec un sexe d'homme." Face à cette accusation, le tribunal précise que les propos sont tenus par certains utilisateurs du chat et non pas par la streameuse.
Décrit par son avocate comme "sans ami", "solitaire", il se dit impulsif "parce que mon psychologue me l'a dit". Ses parents, dans la salle, sont loin d'être d'accord avec les propos de leur fils. Face aux questions insistantes du juge et de l'avocate de la partie civile, le prévenu va alors s'énerver gravement: "Ici, c'est pas la vie," explique son avocate, "sa vie, c'est dans sa chambre, il n'a aucun passe temps."
Nathan F., qui "ne pensait pas" les menaces de viol dont il est soupçonné, affirme vouloir s'excuser. Il explique ensuite que tout a commencé lorsque le streameur Pfut s'est exclamé "elle me casse les couilles celles-là" au sujet d'Ultia. Il conteste par ailleurs la question du cyberharcèlement, évoquant un univers fait d'insultes sur les réseaux sociaux: "Je pense que j'ai banalisé ça."
La "honte" d'être au tribunal
"Ça me fait de la peine de voir que le harcèlement continue," explique le jeune homme de 21 ans, qui confie passer plus de dix heures devant les écrans et vivre dans un contexte familial "violent". "Je ne me considère pas comme un harceleur, et mes messages n'étaient pas du harcèlement."
Edis M. confesse de son côté "avoir honte" d'avoir tenu des menaces de mort et se retrouver face au tribunal ce mardi 21 janvier. "Je présente mes sincères excuses à Ultia, c'est sûr que ça ne recommencera plus jamais," explique celui qui n'a que peu de souvenirs de propos remontant à 2022, cherchant désormais à travailler dans le domaine de la finance après avoir obtenu un master.
Le jeune de 25 ans assure s'être "remis en question" depuis son passage en garde à vue.
À l'issue du procès, c'est bien la problématique du cyberharcèlement qui est aujourd'hui mise sur le devant du débat public. Mais aussi, dans une moindre mesure, les conséquences de propos vus par leurs auteurs comme inconséquents sur le moment, et se rendant compte face au président du tribunal qu'ils ont marqué leurs victimes, point d'orgue d'une affaire vieille de quatre ans.
Le parquet a requis jusqu'à 2 ans d'emprisonnement avec sursis pour le plus âgé des prévenus, Nazim H. avec une obligation de soin, douze mois avec sursis et un stage de sensibilisation sur la haine en ligne pour les plus jeunes. Le tout, associé d'une interdiction de contact pendant une durée de cinq ans. Délibéré le 12 février.