"DPE de complaisance": une étude dénonce une surévaluation courante des diagnostics

C'est un peu comme acheter une place de cinéma au tarif jeune alors qu'on a dépassé l'âge fatidique de 26 ans depuis quelques mois seulement. Avec un peu de chance, personne ne vérifiera. Pour le diagnostic de performance énergétique, la fraude consiste à jouer sur quelques paramètres, à la marge, pour rester dans les seuils de la classe énergétique inférieure.
Une fraude qui pouvait paraître marginale... avant qu'une étude de l'entreprise Krno n'estime à 1,3 million le nombre de biens qui pourraient être concernés. La start-up a mené une vaste enquête sur ce qu'elle appelle les "DPE de complaisance".
"Ces diagnostics, légèrement surévalués pour améliorer la classification énergétique d'un bien, concernent une part significative des logements", affirme l'étude.
Pour le mesurer, les trois auteurs ont analysé 8 millions de DPE enregistrés dans la base de données de l'Ademe. "L'analyse met en lumière des concentrations anormales de diagnostics proches des seuils de changement de classe énergétique", expliquent-ils.
1,3 million de logements potentiellement concernés
Concrètement, ils estiment que ce n'est pas un hasard si de nombreux DPE se concentrent juste avant le seuil pour lequel ils obtiendraient une plus mauvaise note.

Les auteurs estiment que plus de 5% des biens qui auraient dû être classés E passent artificiellement en D. De même, 6% des biens G seraient surclassés en F. La catégorie où l'anomalie est la plus importante est la classe énergétique F, parmi laquelle près de 19% des biens seraient surévalués en E. À l'inverse, l'estimation n'est que de 0,6% pour les biens D surclassés en C.
Rien de surprenant selon les auteurs à ce que les catégories ayant une consommation énergétique élevée soient plus concernées. Les logements étiquetés G et F, considérés comme des "passoires énergétiques," seront en effet les premiers à faire l'objet de restrictions, avec une interdiction de location respectivement en 2025 et 2028.
En tout, 1,3 million de logements pourraient être concernés par ces fraudes. Or, les biens mal classés au titre du DPE souffrent souvent d'une décote. Ainsi en se basant sur les baisses de prix correspondant aux biens énergivores observées par les notaires, les auteurs de l'étude ont tenté d'évaluer le préjudice financier.
"Un flou méthodologique, combiné à des motivations commerciales"
Ils estiment que ces fraudes au "DPE complaisant" pourraient atteindre 21 milliards d'euros au bénéfice des vendeurs, qui peuvent céder un bien surévalué par rapport à sa valeur réelle grâce à un DPE avantageux.
Il s'agit toutefois d'une estimation théorique. "Ces calculs sont basés sur des moyennes nationales et des hypothèses générales. Les valeurs réelles peuvent varier en fonction des régions, du type de bien immobilier et des fluctuations du marché", reconnaît l'entreprise.
Selon Krno, ces fraudes s'expliquent par les marges de manœuvre possible dans l'évaluation des DPE. "Ce flou méthodologique, combiné à des motivations commerciales, favorise une dérive notable: cette marge de manœuvre bénéficie quasi exclusivement au vendeur, qui est le client direct du diagnostiqueur", dénonce l'étude.
Des dérives qui s'expliquent aussi par un changement d'usage du DPE au fil des années. "À l’origine, le DPE avait pour ambition de sensibiliser les Français aux enjeux énergétiques, tout en restant accessible financièrement, et donc forcément peu précis", expliquent les auteurs.
Jusqu'à ce que le gouvernement décide d'introduire des mesures coercitives - comme l’interdiction de location des biens classés G en 2025 - et en conséquence d'imposer des exigences de fiabilité accrues.
"Un terrain fertile pour le développement de pratiques de complaisance."
Lutter contre la fraude
Pour Krno, certaines pratiques pourraient permettre de réduire la fraude. L'entreprise cible tout d'abord les logiciels des diagnostiqueurs, qui leur permettent de voir la lettre évoluer en fonction des paramètres qu'ils renseignent. "Ils permettent au diagnostiqueur de voir précisément quels champs modifier et dans quelle mesure pour atteindre une lettre cible", pointe l'entreprise.
La start-up, qui propose elle-même ce service, pousse aussi pour introduire une méthode contradictoire pour l’évaluation des DPE avec un diagnostiqueur mandaté par le vendeur et l'autre par l'acheteur.
L'entreprise considère également la marge d'inexactitude (une demi-lettre) comme "excessivement large et problématique". Elle plaide enfin pour un modèle inspiré du contrôle technique avec des DPE réalisés périodiquement par différents diagnostiqueurs et en dehors d'un contexte de vente ou de location.
Pour lutter contre ces fraudes, le député Renaissance Daniel Labaronne souhaite de son côté renforcer et sécuriser l'annuaire qui recense les professionnels diagnostiqueurs.
"Le cadre actuel n'est pas suffisant, il a beaucoup trop de trous dans la raquette", assure-t-il auprès de BFMTV.
"Il faut une identification du diagnostiqueur et une traçabilité de son action. Il faut réintroduire des critères très stricts qui soient incontestables", explique-t-il. Il a prévu de déposer un amendement à la proposition de loi de Thomas Cazenave sur la fraude aux aides publiques qui sera examinée ce mercredi 27 novembre en commission et début février en séance publique.