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Multipropriétaires, âgés... Qui sont les propriétaires de logements vacants et pourquoi ils ne veulent pas louer

Un immeuble de logements vacants à Commercy, dans la Meuse, le 26 janvier 2024.

Un immeuble de logements vacants à Commercy, dans la Meuse, le 26 janvier 2024. - Jean-Christophe VERHAEGEN / AFP

Logements vétustes, fiscalité, peur des squatteurs, rotation entre locataires... Pourquoi plus de 3 millions de logements sont désespérémment vides alors que les Français peinent à se loger?

Qui se cache derrière ce fléau? 3,1 millions de logements sont vacants en France en 2023 selon l'Insee, soit 8% du parc. Et leur nombre augmente chaque année: depuis 2005 on recense 1,1 million de logements vacants supplémentaires (+55%).

Mais alors à qui appartiennent ces logements délaissés? Selon un rapport de la direction interministérielle de la transformation publique, le propriétaire type d'un logement vacant est plutôt âgé, aisé et possède plusieurs biens.

En effet, près de la moitié des propriétaires de logements vides a plus de 65 ans et un tiers fait partie des 20% des ménages les plus riches, selon la même source. Ils sont également un tiers à détenir 4 propriétés ou plus. Dernière particularité: ils habitent à proximité du bien en question (71% des logements vacants sont situés dans le département de résidence de leur propriétaire).

Il faut toutefois distinguer la vacance frictionnelle (due à la rotation entre locataires ou à la réalisation de travaux) de la vacance structurelle de long terme, contre laquelle il est possible de lutter. Ainsi, 1,2 million de biens sont vacants depuis plus de deux ans, selon le fichier Lovac 2024.

Parmi ces propriétaires, Isabelle*, qui a souhaité témoigner anonymement, loue deux appartements en Haute-Savoie (un en meublé et un en nu). Un troisième, qu'elle a acquis grâce à un héritage, est vide depuis 2019, alors qu'elle a réalisé les travaux pour le rénover.

"J'ai fait le calcul bénéfice-risque et je préfère ne pas louer", explique-t-elle.

Une fiscalité inégale

Elle souhaiterait le mettre en location nue "car sinon c'est difficile de trouver des locataires, les gens ont déjà leurs meubles". Mais ses revenus augmenteraient et elle ne pourrait plus bénéficier de l'abattement de 30% au régime micro-foncier (le plafond est de 15.000 euros). Elle passerait alors au régime réel, qui comporte d'autres avantages.

Elle pointe surtout l'inéquité des régimes fiscaux entre d'un côté la location nue et de l'autre la location meublée et saisonnière, qui sont plus avantageuses. "Ça devrait être l'inverse!", s'exclame-t-elle. Plusieurs amendements ont été déposés au projet de loi de finances 2025 afin de rééquilibrer les régimes, mais difficile de savoir s'ils seront conservés en cas d'utilisation du 49-3.

"Aujourd'hui, avec la crise du logement qu'on connaît, mettre un appartement en location nue est d'utilité publique, mais on est autant, voire plus taxés que si on investissait dans des actions", regrette Isabelle.

"On rénove, on entretient, on loge les Francais et on est les seuls à être taxés", regrette également le président de l'Union nationale des propriétaires immobiliers (Unpi), Sylvain Grataloup. "On paie l'impôt sur la fortune immobilière, alors que quelqu'un peut avoir 4 millions d'euros d'actions sans le payer", ajoute-t-il.

Vétusté, passoires thermiques, successions... D'autres explications

D'autres causes existent pour expliquer la vacance de longue durée. Un rapport du datalab du ministère de la Transition écologique cite notamment le passage en Ehpad des propriétaires ou les situations de transmission patrimoniale. Pour les biens en indivision ou quand la succession se passe mal, des logements peuvent rester vides pendant plusieurs années.

La vacance est aussi plus élevée dans les départements les moins peuplés comme la Creuse, la Nièvre, les Ardennes, le Cher, l’Yonne, l’Indre ou la Meuse, où elle dépasse les 11%. À l'inverse, dans les aires d’attraction des grandes villes, elle est plus proche de 7%.

Certains biens sont aussi en trop mauvais état pour être loués, ou sont des passoires thermiques, interdites à la location à partir de 2025. Les propriétaires n'ont pas toujours les ressources financières ou la connaissance des aides disponibles pour les rénover.

"Les aides sont compliquées à obtenir et trop faibles par rapport au budget global. Alors certains préfèrent laisser leur bien vacant et attendre le bon moment pour vendre ou relouer", explique Sylvain Grataloup.

Le représentant des propriétaires pointe aussi l'encadrement des loyers dans certaines villes et plus généralement la rentabilité de la location longue durée. "Pour un bien de 300.000 euros avec des loyers de 12.000 euros par an, si on enlève toutes les dépenses, charges et impôts, il ne reste que 1.000 euros", calcule-t-il.

"Au bout du compte, c'est beaucoup de contraintes et peu de rentabilité."

"Ça les fatigue de gérer la location"

Isabelle craint en effet plus de complications que de bénéfices. Elle a peur que des locataires ne paient pas leur loyer ou dégradent l'appartement. "C'est une crainte qui n'est pas toujours fondée", assure Philippe de Longevialle, le directeur de l'Adil (Agence départementale d'information sur le logement) en Haute-Savoie.

Il pointe l'existence du dispositif d'intermédiation locative, qui permet de sécuriser les propriétaires. Ceux qui acceptent de louer à des ménages précaires à des loyers plafonnés sont ainsi déchargés de la gestion locative, bénéficient d'avantages fiscaux, de la garantie du paiement des loyers et de la remise en état en cas de dégradation.

À Paris, ce dispositif a été mis en place, mais n'a pas rencontré un franc succès. Seules 1.300 demandes ont été reçues. "On se dit donc que la peur des squatteurs n'est pas le principal motif de la vacance", réagit Jacques Baudrier, adjoint au logement à la mairie de Paris (PCF).

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Enfin, certains propriétaires préfèrent tout simplement garder leur logement "au cas où". "Ils se disent que leurs enfants en auront peut-être besoin plus tard, et en attendant, ils n'ont pas besoin de revenus complémentaires", explique Philippe de Longevialle.

Un constat partagé par Jacques Baudrier. "La plupart du temps, ce sont des gens âgés, multipropriétaires, ça les fatigue de gérer la location. Certains ont hérité ou acheté un immeuble entier il y a longtemps, si quelques appartements sont vides, ce n'est pas bien grave", raconte l'élu parisien.

Il évoque également le cas des passoires thermiques dont le prix a baissé. "Leurs propriétaires ne veulent pas accepter cette dévalorisation, alors ils gardent le bien, ou alors ils le mettent en vente à un prix trop élevé et personne n'achète", assure-t-il.

La partie immergée de l'iceberg

Mais selon Jacques Baudrier, les logements vacants ne représentent que la moitié du problème. Dans la crise du logement, il pointe également les résidences secondaires. "Ce sont les deux faces d'une même pièce, les propriétaires peuvent passer d'une catégorie à l'autre simplement en cochant une case dans leur déclaration d'impôt", pointe-t-il.

Selon lui, une partie appartient à des étrangers qui viennent une ou deux fois par an, ou à des retraités qui veulent un pied à terre dans la capitale. "Sans parler des 20% qui ont une résidence secondaire et dont la résidence principale est... à Paris", ajoute-t-il.

"Certains pourraient aller à l'hôtel et louer leur logement à l'année."

"S’ils étaient quelques milliers, ça irait, mais aujourd'hui un logement sur cinq est inoccupé à Paris, ça a un coût pour la société, que va-t-on faire quand la capitale sera vidée de ses habitants?"

Il propose d'augmenter les taxes sur les logements vacants et les résidences secondaires. Mais pour Sylvain Grataloup de l'Unpi, cela contreviendrait au droit de propriété. "C’est la liberté de chacun de vivre où il a envie de vivre, ces biens ne sont pas tombés du ciel, ils ont été achetés", rétorque-t-il. En attendant, le nombre de logements vacants a augmenté 2,3 fois plus vite que le nombre total de logements entre 2005 et 2023.

* Le prénom a été modifié

Marine Cardot