Crise du logement: la production de crédits immobiliers s’est effondrée, à qui la faute?
Les chiffres sont parlants: le nombre de prêts accordés a plongé de plus de 40% sur les trois premiers mois de l’année d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA. L’effondrement de la production de crédits est un des éléments de cette crise du logement qui inquiète de plus en plus en France. Au point que la Première ministre Elisabeth Borne en a fait un de ses chantiers prioritaires pour les 100 jours à venir.
“Les grandes banques nationales ont drastiquement réduit” leurs offres, selon plusieurs courtiers. Du côté des banques, on estime que c'est plutôt le manque de demande qui pénalise la production de crédits.
Alors que se passe-t-il vraiment sur le marché? Est-ce que ce sont les ménages qui ne veulent plus acheter? Les banques qui ne veulent plus prêter? Les règles qui sont trop strictes? Tour d’horizon.
Crédit immobilier, les voyants au rouge
La chute des crédits immobiliers est une réalité installée depuis plusieurs mois dans le paysage français. Lorsque la Banque centrale européenne (BCE), l’année dernière, a décidé d'augmenter ses taux d’intérêt pour réguler l’inflation, un de ses buts était de freiner l’octroi de crédits aux ménages. Opération réussie.
Aujourd’hui, emprunter de l’argent coûte beaucoup plus cher qu’hier. Le taux moyen des crédits immobiliers a augmenté au rythme des tours de vis de la BCE pour être maintenant trois fois plus élevé qu’il y a un an: il a dépassé les 3% en avril alors qu’il survolait tout juste les 1% début 2022, selon les données de Crédit Logement/CSA.
Cela dit, “l’anomalie, c’était plutôt de pouvoir emprunter à 1%,” note Olivier Lendrevie, président du courtier Cafpi. La hausse des taux est un “mécanisme sain et souhaité” rajoute-t-il, mais il faut qu'en parallèle les prix de l’immobilier baissent progressivement, ce qui devrait encore prendre plusieurs mois selon lui.
Ces taux sont d’ailleurs plafonnés par le taux d’usure soit le taux maximal auquel les banques ont le droit de prêter. S'il passera à 4,52% au 1er mai, il reste bas, très bas, par rapport aux autres pays. En Belgique par exemple, il est à 10%. Pour les banques, cela signifie que leur activité de crédits immobiliers n’est pas toujours rentable. “La majorité des prêts [que nous octroyons] se font à marge négative,” explique ainsi le cadre d’une banque nationale à BFM Business.
"Je n’arrive pas à comprendre"
Le marché du crédit immobilier est très réglementé, trop pour certains. Le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) a en effet durci en 2022 les obligations que les banques doivent respecter. Plus précisément, le HCSF a rendu obligatoire ce qui était jusque là de simples recommandations. Parmi les limites imposées, un taux d’endettement maximal de 35% pour les ménages et une durée maximale des crédits de 25 ans (27 ans dans certains cas avec un différé de 2 ans, comme pour l'achat sur plan). Les banques ont toutefois le droit de déroger à ses règles pour 20% de leur production mais avant tout pour aider des primo-accédants à acheter leur résidence principale.
"Je n’arrive pas à comprendre le problème qu’ils voulaient régler” s’étonne Olivier Lendrevie qui n’est pas tendre avec ces règles: “Ce qui est dramatique en France, c’est d’avoir ajouter des déformations réglementaires qui font que les banques n’ont pas envie ou ne peuvent pas prêter.”
Elisabeth Borne veut "solliciter" les banques
“Nous n'avons pas modifié notre stratégie depuis le 2ème trimestre 2022,” souligne de son côté le cadre d’une grande banque qui précise qu’ils avaient “réduit leurs offres de prêts avant” l'imposition de nouvelles règles obligatoires.
Pour lui, un seul volet HCSF doit vraiment être assoupli: celui qui encadre les investissements locatifs. “On est obligé de dire non à des clients qui veulent investir dans le locatif,” détaille-t-il avant de rajouter que le HCSF n’est “pas du tout” en train de réfléchir à une révision.
Une banque mutualiste nous explique quant à elle que c’est le plafonnement du taux d’endettement qui bloque le marché. Elle avoue cependant qu’un relèvement de celui-ci “accélérerait un peu les dossiers” en report mais ne changerait pas dramatiquement la tendance. Les critères du HCSF, “c’est un moyen facile à faire bouger,” assure-t-elle, alors que sur les taux ou les prix, ils ne peuvent rien faire.
La Banque de France, un des membres du HCSF, reste convaincue du bien-fondé des règles en place qui protègent du surendettement, selon son gouverneur. “Le crédit immobilier reste en France le plus abondant et le moins cher d’Europe,” insiste l'institution qui n'a pas répondu à la question de BFM Business sur un possible assouplissement des règles à venir.
Les banques ne se considèrent pas responsables de la situation mais c'est bien à celles-ci que la Première ministre Elisabeth Borne veut faire appel pour la débloquer: "Nous allons solliciter les banques pour améliorer l'accès au crédit," a-t-elle dit lorsqu'elle à présenté sa feuille de route plus tôt dans la semaine.
Au micro de BFM Business vendredi matin, le ministre du Logement Olivier Klein jugeait également que "les banques aujourd'hui sont prudentes, trop prudentes."
“Vous n’intéressez personne”
Une certitude, les effets sont là: “Aujourd’hui, je passe mon temps à dire à des clients 'vous n'intéressez personne’”, constate Bérengère Dubus, courtière et secrétaire générale de l'Union des intermédiaires de crédit. C'est une situation inédite, selon elle, et les primo-accédants sont les plus touchés.
Selon la courtière, beaucoup de grandes banques ne prêtent plus qu’à leurs clients et encore, seulement une partie. Banques mutualistes –qui représentent la grande majorité des prêts accordés- ou banques nationales, elles ont toutes réduit la voilure, bien que les non mutualistes aient davantage freiné, précise-t-elle.
Seule Axa aurait complètement et temporairement arrêté d'offrir des prêts immobiliers, selon une information du magazine Challenges qui date de début avril.
Si les banques sont appelées à faire des efforts, pour elles, c'est surtout la demande qui doit repartir pour relancer la machine.
Du côté des ménages, c'est l'attente
“Il y a un problème de demande: les taux des crédits ont tellement augmenté que les gens ne peuvent plus acheter,” pointe Sandrine Allonier, directrice des études chez Vousfinancer.
La baisse est “vraiment significative” avec des clients “qui vont renoncer à leur projet” insiste le cadre d’une grande banque. Le niveau des prix immobiliers couplé à des taux d’emprunt élevés paralyse le marché.
Il y a donc beaucoup de reports et d'abandons dans une période normalement riche en transactions.
"Le marché de l’immobilier est suspendu aux crédits” confirme sur BFM Business Thomas Lefebvre, directeur scientifique de MeilleursAgents. Or, la BCE devrait réaugmenter ses taux sous peu tandis que sur les trois premiers mois de l’année, les prix de l'immobilier ont baissé de 0.5%, d'après les données de MeilleursAgents.
Entre aujourd’hui et début 2022, "pour garder le même pouvoir d’achat immobilier, il faudrait que les prix s’ajustent de plus de 20%," note Thomas Lefebvre. "Les vendeurs restent accrochés à des valorisations d’il y a un an, deux ans," continue-t-il.
“C’est certain que le marché va continuer sur sa tendance baissière dans les prochains mois” assure-t-il.