Mort de 27 migrants dans la Manche: un membre du centre de surveillance et de sauvetage s'explique

Des migrants tentent de franchir la Manche pour rejoindre l'Angleterre, en août 2020 (illustration) - Sameer Al-DOUMY / AFP
Un an après le terrible naufrage qui a fait 27 morts dans La Manche, un militaire membre du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritime (Cross) de Gris-Nez accepte de s'exprimer. Auprès de la cellule investigation de Radio France, il revient sur les événements de cette nuit, et répond notamment aux interrogations sur l'absence d'envoi de bateaux de secours sur place.
D'après les premiers éléments d'enquêtes publiés par le journal Le Monde, les migrants ont appelé à une quinzaine de reprises les autorités françaises pour leur demander de l’aide, en vain. Les secours français auraient attendu que les naufragés dérivent dans les eaux anglaises, pour être pris en charge par leurs homologues britanniques.
"On pensait, d’une part, que les secours anglais que nous avions prévenus interviendraient. Et d’autre part, il arrive régulièrement que les situations ne soient pas aussi urgentes qu’on nous le dit au téléphone", explique-t-il à Radio France, n'excluant pas que l'équipe a peut-être sous-estimé la gravité des faits.
D’après lui, les migrants demandent dans la plupart du temps à être en Angleterre. "Ils savent qu’une fois passée la ligne de séparation des eaux franco-anglaises, les Britanniques envoient un moyen pour les récupérer avant qu’ils n’atteignent la côte. Ça les rassure de se faire accompagner jusqu’à la zone anglaise, car la plupart d’entre eux ne savent pas nager."
"Nous pensions que les Anglais allaient intervenir"
Les équipes de surveillance reçoivent pourtant un second appel d’un migrant qui explique que son embarcation prend l’eau. Le Cross contacte alors les secours anglais au lieu d'envoyer le "Flamant", son patrouilleur de la marine. "L'embarcation des migrants se trouve alors à peine à un kilomètre de la ligne de séparation anglaise, détaille le militaire. On pense donc que le temps que le 'Flamant' arrive, les migrants seront passés en zone britannique."
D'après lui, le patrouilleur intervenant déjà sur une embarcation, "on ne pouvait pas se permettre d'enlever ce moyen nautique de nos côtes". Le militaire se retranche derrière le droit maritime pour justifier le choix de ne pas avoir envoyé d'autres moyens de secours.
Quand une embarcation se trouve dans les eaux britanniques, "elle doit être secourue par les Britanniques. Nous pensions que les Anglais allaient intervenir. C’est pourquoi on a conseillé aux migrants de l’embarcation d’appeler les secours anglais".
Cette nuit-là, "40 opérations et 600 communications téléphoniques relatives à des situations de détresse" ont été menées en 24 heures. "Et il n’y avait que deux opérateurs pour gérer ces appels. Nous avons dû appeler une troisième personne en renfort", affirme-t-il.
"Des propos injustifiables"
Interrogé sur les propos prononcées par une opératrice du Cross, "t'entends pas, tu seras pas sauvé" et largement condamnés, le militaire reconnaît des "propos injustifiables".
En ajoutant: "Mais il faut aussi parler du contexte. Quand le téléphone est saturé d’appels, qu’il y a toutes ces vies en jeu comme cette nuit-là, comme pendant bien d’autres, cela peut être une façon de lutter contre la pression (...). Ce n’est pas pour autant qu’on est cynique ou raciste. Notre mission, c’est de sauver des vies, des gens. Que ce soit des migrants ou pas."