Véritable succès économique, la Coupe du monde 2023 peut-elle booster le football féminin?

La Coupe du monde 2023 de football féminin, qui s'est terminée ce dimanche avec la victoire de l'Espagne sur l'Angleterre, est "la plus grande et la meilleure de tous les temps", a salué vendredi le président de la Fifa Gianni Infantino. Selon lui, l'événement, co-organisé par l'Australie et la Nouvelle-Zélande, "a dépassé 570 millions de dollars de chiffre d'affaires, ce qui nous a permis d'atteindre le seuil de rentabilité".
"Nous n'avons pas perdu d'argent et il s'agit du deuxième événement sportif qui a généré le plus d'argent, à l'exception bien sûr de la Coupe du monde masculine, sur la scène mondiale", a-t-il insisté.
"Cela montre que notre stratégie n'était pas trop mauvaise, mais nous devons bien sûr encore faire beaucoup mieux. Mais nous sommes sur la bonne voie", a appuyé l'Italo-Suisse, réélu en mars pour un nouveau mandat courant jusqu'en 2027. La Fifa a annoncé en février dernier des revenus records pour le cycle 2019-2022, de quelque 7,6 milliards de dollars, en hausse de 18% par rapport à la période précédente.
Les téléspectateurs au rendez-vous
Autre élément de satisfaction pour la Fifa, les audiences sont bonnes, malgré le conflit avec les diffuseurs qui a menacé l'événement tardivement. "C'est clairement une erreur stratégique de la Fifa", souligne Vincent Chaudel, économiste à l'Observatoire du sport business.
"Quand elle avait attribué la Coupe du monde masculine de 2002 à la Corée du Sud et au Japon, elle avait vendu en même temps les droits TV de la Coupe du monde 2006 en Allemagne. La Fifa aurait pu reproduire ce schéma avec la Coupe du monde 2019 en France et celle de 2023. Elle ne l'a pas fait et à la place, elle a demandé aux diffuseurs européens de payer plus cher qu'avant pour des horaires pas pertinents pour eux."
Finalement, France 2 et W9 ont acquis les droits TV pour la France et mis en place des dispositifs de couverture. Avec, à la clé, des audiences satisfaisantes. Ainsi, 5,7 millions de téléspectateurs ont regardé le quart de finale entre la France et l'Australie le samedi 12 août.
"C'est un succès parce que les matches étaient diffusés le matin et le midi en Europe, les pires horaires pour regarder une compétition sportive", rappelle Vincent Chaudel sur BFM Business.
Quelques jours plus tard, les "Matildas", tombeuses des Bleues, ont été suivies par 7 millions de personnes en moyenne en Australie lors de leur demi-finale contre l'Angleterre. Il s'agit tout simplement du meilleur score d'audience, tous programmes confondus, de l'histoire de la télévision australienne. "Je suis optimiste, je pense que la Fifa va apprendre de cette erreur", avance Vincent Chaudel.
Émergence de nouvelles nations
Le président Infantino a également défendu le choix d'élargir à 32 sélections participantes le Mondial féminin, qui jusque-là n'en comptait que 24. "Ils disaient: 'ça ne va pas marcher, le niveau est trop différent, vous aurez des scores de 15-0, ce sera mauvais pour le football féminin et son image'", a-t-il lancé.
"Mais je suis désolé, la Fifa a eu raison. Nous avions de nombreux pays dans le monde qui pensaient avoir une chance de participer. Tout le monde croit maintenant qu'il y a une chance de briller sur la scène mondiale", a assuré le patron du football mondial.
La neuvième édition du Mondial a été marquée par l'émergence de nouvelles nations, comme la Jamaïque, le Maroc et l'Afrique du Sud qui ont atteint pour la première fois la phase à élimination directe.
"Le football féminin est en train de gagner ses lettres de noblesse au niveau des équipes nationales. Le problème c'est plutôt le rendez-vous régulier du championnat de France avec trop peu de spectateurs dans les stades et devant les écrans", note Vincent Chaudel.
"Nous citoyens, il faut que l'on regarde plus de matches"
De fait, le football féminin génère toujours des sommes bien moins importantes que le football masculin. Malgré des avancées puisque la Fifa a triplé les dotations par rapport à l'édition 2019 en France, portant le "prize money" à un total historique de 152 millions de dollars, soit dix fois plus que pour le Mondial 2015 au Canada.
"On voit que la Fifa a voulu corriger le tir mais il y a encore un écart significatif avec les primes accordées aux hommes, de l'ordre de 1 à 3", explique Vincent Chaudel, qui rappelle que le problème est bien plus vaste que la seule Coupe du monde.
"La joueuse la mieux payée en France, c'est Marie-Antoinette Katoto (PSG) et elle gagne 50.000 euros par mois, là où Mbappé gagne 6 millions par mois. Mais dans le même temps, il y a en moyenne 21.000 spectateurs par match en Ligue 1 contre moins de 1000 en D1 Arkéma (le championnat féminin, NDLR)."
Pour l'économiste, il faut parvenir à créer un effet boule de neige. "Nous citoyens, nous avons notre part de responsabilité. Il faut que l'on regarde plus de matches, que l'on soutienne plus nos championnes sur les réseaux sociaux et qu'on aille les voir dans les stades", appelle-t-il. "Les diffuseurs ne sont ni racistes ni sexistes, ils sont pragmatiques. S'il y a de l'audience, ils diffuseront plus de matches et mieux."
Des propos d'Infantino jugés condescendants
En marge de la présentation des revenus générés par la Coupe du monde 2023, Gianni Infantino a par ailleurs appelé les femmes, fortes de ce succès, à "choisir les bons combats (…) pour nous convaincre, nous les hommes, de ce que nous devons faire".
"Je dis à toutes les femmes -et vous savez que j'ai quatre filles, donc j'en ai quelques-unes à la maison- que vous avez le pouvoir de changer", a-t-il déclaré à la Convention de football féminin de la FIFA, sous des applaudissements tièdes.
"Avec les hommes, avec la Fifa, vous trouverez des portes ouvertes. Poussez-les, elles sont ouvertes", a-t-il ajouté. Des propos jugés condescendants et sexistes qui ont notamment provoqué une réaction ironique de l'attaquante norvégienne Ada Hegerberg qui a écrit sur X (ex-Twitter): "Travailler sur une petite présentation pour convaincre les hommes. Qui est partant ?".