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Quinze parlementaires ont proposé un cadeau fiscal pour Philip Morris

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Des députés et sénateurs voulaient baisser les taxes sur la cigarette électronique du fabricant américain. Le Sénat a adopté un amendement offrant un avantage fiscal de 17 millions d’euros à Marlboro.

Ils sont passés inaperçus au milieu des milliers d’amendements du budget 2021, tellement dense en raison de la crise. Quinze parlementaires, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont proposé d’alléger la fiscalité sur une cigarette électronique en particulier. En octobre, dix députés ont ouvert le bal en déposant une série d’amendements -onze au total- proposant de créer une fiscalité spécifique sur le "tabac à chauffer". En France, seul Philip Morris dispose d’une cigarette électronique (Iqos) disposant de capsule de tabac qui est chauffé (Heet). Ses concurrents vendent des produits à base de liquides.

Une aubaine pour Philip Morris: cette proposition divise par deux (54% à 25% hors TVA), les taxes de sa cigarette électronique, la Heet, selon l’amendement voté au Sénat le 19 novembre dernier. D’après nos calculs, la perte fiscale pour la Sécurité Sociale (qui bénéficie des recettes sur le tabac) aurait été de 17 millions d’euros. Et autant dans les poches du fabricant des Marlboro qui aurait augmenté son chiffre d’affaire de 11 à 28 millions d’euros en se basant sur les ventes de la Heet en 2020. Un montant "relatif" par rapport aux 18 milliards de recettes fiscales du tabac cette année, répond un proche du cigarettier qui ne cache pas pousser ces idées auprès de plusieurs parlementaires.

La Heet sept fois plus rentable qu'une Marlboro

Les députés, emmenés par Charles de Courson, justifiaient leur choix de "modifier la fiscalité du tabac à chauffer dans un objectif de santé publique". L’idée? Baisser les taxes sur la Heet pour inciter les fumeurs de Marlboro à l’acheter car elle est moins nocive selon Philip Morris. Un argumentaire largement repris par le député Charles de Courson qui s’appuie sur 16 pays européens qui ont déjà appliqué cette fiscalité spécifique. "En Italie, la fiscalité du tabac à chauffer est à 25% de celui des cigarettes", explique un proche de Philip Morris. Sa stratégie consiste à faire basculer les fumeurs vers sa cigarette électronique. Et pour cause, "Philip Morris gagne plus de chiffre d’affaires avec un fumeur de sa Heet qu'avec sept fumeurs de Marlboro", assure un bon connaisseur du marché.

Tous les amendements ont été rejetés à l’assemblée nationale mais ont été repris, mot pour mot, un mois plus tard par cinq sénateurs. Le Sénat les a adoptés avant que le gouvernement ne les enterre définitivement, en seconde lecture, à l’assemblée nationale. Le ministre du Budget, Olivier Dussopt a bien "vu l’ombre de Philip Morris derrière ces parlementaires", relate un de ses proches. Il a botté en touche en renvoyant la décision à une directive européenne que la France appliquerait ensuite. Le ministère du Budget est habitué, chaque année, au lobbying intense du lobby des cigarettiers.

Charles de Courson reprend les arguments de Marlboro

De son côté, Charles de Courson n’est pas gêné d’avoir proposé un amendement au seul avantage de Philip Morris. "J’en ai parlé avec eux, il faut bien des pionniers et beaucoup d’études assurent que leur produit est moins nocif", nous assure-t-il. Sauf que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) émet encore de gros doutes sur sa moindre nocivité.

Charles de Courson n’avait pas connaissance de cet impact fiscal. Il s’en défend péniblement, en tant que vice-président de la commission des Finances à l’Assemblée nationale. Et estime que cette nouvelle taxation pour le tabac à chauffer pourrait en contrepartie, à long terme, faire "baisser les dépenses de santé liées au cancer du poumon", confie-t-il pour justifier l’absence d’audit fiscal…

Le cancérologue David Khayat dans la boucle

Cet impact n’a pas non plus été étudié par le sénateur René-Paul Savary, a l’origine de l’amendement adopté au Sénat. "Je pensais que cela bénéficierait aux fumeurs", explique naïvement celui qui est aussi médecin. Philip Morris n’a jamais eu l’intention de baisser ses prix en contrepartie mais simplement de créer une exception fiscale sur son produit. "Nous sommes plusieurs sénateurs à avoir rencontré le cancérologue David Khayat qui disait que le tabac à chauffer était moins nocif", ajoute René-Paul Savary qui réfute tout lien avec Philip Morris.

Le professeur David Khayat, chef du service oncologie de la Pitié Salpêtrière est un ardent défenseur du tabac à chauffer, comme de la cigarette électronique, depuis plusieurs années. Il est notamment reconnu pour avoir inspiré le "plan Cancer" de Jacques Chirac en 2003 et avoir été l’ancien médecin de Johnny Hallyday. "David Khayat avait été identifié par Philip Morris il y a quelques années", explique un ancien cadre du cigarettier. "Il avait même été approché", ajoute un autre. Il avait, selon ces sources, accepté de travailler sur le tabac à chauffer avec des sociétés de conseil scientifique proches du fabricant de Marlboro. L’intéressé n’a pas souhaité nous répondre.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business