"Demain ce sera probablement pire", "en position de partir", "s'expatrier en Italie": face à la panique des grandes fortunes, les gestionnaires de patrimoine tentent de calmer le jeu

Une femme retire de l'argent à un distributeur automatique bancaire, le 3 juin 2025 à Paris - JOEL SAGET © 2019 AFP
"Ne pas céder à la panique": face à la crise politique qui agite la France et au spectre d'une hausse d'impôts, les gestionnaires de fortune appellent à la prudence, alors que certains chefs d'entreprise et détenteurs de gros patrimoines réfléchissent à transférer leurs avoirs à l'étranger, voire à s'expatrier.
La démission surprise du Premier ministre Sébastien Lecornu - à peine quatorze heures après la nomination de son gouvernement - a renforcé l'instabilité politique à laquelle les milieux d'affaires se sont peu à peu accoutumés.
Depuis, "on n'a pas plus d'appels (de clients), car ça a commencé depuis la dissolution. Mais si auparavant on pouvait parler de l'évolution des taux, des marchés, de diversification, maintenant la première chose qu'ils nous disent c'est 'qu'est-ce qu'on fait dans ce climat-là' ?", observe Benoist Lombard, président du gestionnaire de fortune Maison Laplace (groupe Crystal).
À cette incertitude s'est ajoutée, dit-il, "une petite musique" avec le débat public autour de la taxe Zucman, écartée par Sébastien Lecornu qui avait proposé une taxe "sur le patrimoine financier" des holdings familiales.
Ces inquiétudes se nourrissent aussi des hypothèses fiscales évoquées ces dernières semaines dans la presse: relèvement du prélèvement forfaitaire unique ("flat tax", 30% aujourd'hui), reconduction de la surtaxe d'impôt des grandes entreprises, ou encore révision du pacte Dutreil - dispositif clé pour les transmissions familiales d'entreprises offrant un abattement de 75%.
"De nombreux chefs d'entreprise ont le sentiment d'être stigmatisés, pointés du doigt, accusés de ne pas contribuer suffisamment à l'effort national alors qu'ils sont des créateurs de richesses", rapporte M. Lombard.
Il appelle cependant tous ses clients à "ne pas céder à la panique". "Tant qu'un impôt n'existe pas, c'est difficile de lutter contre." Même posture du côté du cabinet de conseil en investissement Norman K. "On n'a pas de boule de cristal. Il faut attendre de voir ce qui est validé par l'Assemblée, car l'histoire récente nous a appris que les annonces n'étaient pas toujours tenues", relève l'un de ses responsables, Grégoire Kounowski.
"On dit depuis un certain temps à nos clients que ce qui prévaut, c'est le statu quo, les règles d'aujourd'hui", explique-t-il. "Si ces règles vous conviennent, il faut y aller, notamment sur les cessions d'entreprises, plutôt que d'attendre demain, parce que demain ce sera probablement pire, si un gouvernement d'extrême venait à passer."
"Aucun départ à ce jour"
Certains clients du cabinet d'avocats d'affaires August Debouzy, dotés d'un patrimoine supérieur à 100 millions d'euros et qui seraient donc concernés par la taxe Zucman, s'étaient mis "en position de partir" début septembre, avant que Sébastien Lecornu n'écarte cette taxe, signale l'un des associés Philippe Lorentz, responsable du département fiscalité.
Lui aussi conseille à sa clientèle de "calmer les réflexions et de temporiser", tant qu'on "ne sait pas où va le gouvernement", et de "diversifier" ses actifs, notamment vers la Suisse et le Luxembourg, où les contrats d'assurance vie, mieux protégés qu'en France, suivent une courbe "exponentielle" cette année.
Du côté de l'Association française du family office (AFFO), qui représente ces structures dédiées au patrimoine familial des grandes fortunes, "aucun départ n'a été constaté à ce jour", selon son délégué général Guillaume Courault.
"Mais la question se posera si l'État prend des mesures telles que son projet d'imposition de la trésorerie des holdings", alerte-t-il, espérant qu'il y aura "des adultes dans la pièce" au moment du vote au Parlement, "le vrai juge de paix".
"Les premiers à se poser la question d'un départ, ce sont les plus jeunes. Ils parlent anglais, ils sont dans un contexte international, développent du business sur des éléments immatériels" comme dans la tech, souligne M. Lombard.
Le gestionnaire de fortune pointe notamment l'attrait croissant de l'Italie et son forfait fiscal à 200.000 euros pour les revenus des super-riches générés à l'étranger.
"Mais, note M. Lombard, ce n'est pas une solution de partir si vous n'avez pas un projet de vie. Si vous habitez dans un appartement sympathique du 16e arrondissement, avec votre cadre de vie, vos amis, partir vivre à Genève ou à Luxembourg n'enchante pas naturellement."