Le déficit et la dette français sont-ils vraiment préoccupants?

Fitch estime que le déficit de la France "se réduira plus lentement que dans les projections de décembre du gouvernement" - PHILIPPE HUGUEN © 2019 AFP
Les mauvaises nouvelles s'enchaînent pour les finances publiques. Après la révision à la hausse du déficit public pour l'année 2023, le gouvernement a revu cette semaine sa trajectoire pour l'année en cours. Le déficit devrait être de 5,1% du PIB en 2024 contre 4,4% initialement espéré.
Si l'exécutif maintient son objectif de 3% de déficit en 2027, pour la dette publique en revanche il ne nourrit guère d'espoir de la voir reculer en dessous de 112% du PIB (soit peu ou prou son niveau actuel). Les factures du "quoi qu'il en coûte" du Covid et des 100 milliards d'euros d'aides contre l'inflation dans un contexte de ralentissement de la croissance handicapent toujours les comptes publics. Et si les agences de notation ont fait preuve de mansuétude avec la France jusqu'à présent, le "AA" français pourrait ne pas résister à l'année 2024.
Voilà pour le contexte. Mais cette situation est-elle grave? Et quelles peuvent être les conséquences de cette dégradation des comptes publics?
En théorie, des comptes trop en déséquilibre conduisent à une dégradation de la note d'un pays qui elle-même pousse les investisseurs à prêter avec des taux plus élevés pour se couvrir du risque. Ce qui entraîne une hausse des frais de remboursement de la dette qui eux-mêmes plombent encore plus le déficit. Un cercle vicieux du surendettement qui a poussé certains Etats à la banqueroute comme la Grèce au début des années 2010.
Le privilège exorbitant de la France
Mais ça c'est en théorie. Car en pratique la France bénéficie d'un privilège que son incapacité chronique à avoir des comptes à l'équilibre ne devrait pas lui octroyer.
"C'est un privilège exorbitant, rappelle Christophe Dembik, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM sur BFM Business. Peu importe ce qui va se passer, [...] la France va emprunter à des taux relativement bas."
Malgré l'accumulation de mauvaises nouvelles comptables, le "10 ans", le taux phare auquel emprunte la France n'a pas bondi ces dernières semaines et reste même à moins de 3%, soit un niveau plus bas qu'en 2023. L'écart avec le taux allemand est même stable avec 0,5 point d'écart.
La raison de cette confiance des investisseurs? La France est un bon payeur jusqu'à présent et surtout elle offre d'importantes possibilités d'investissements car elle emprunte beaucoup.
"La France est l'actif de réserve en zone euro parce que les Allemands empruntent assez peu, rappelle Christophe Dembik. Je vous donne un ordre de grandeur: les besoins en emprunt pour l'Allemagne cette année c'est 76 milliards, la France c'est 285 milliards."
Les investisseurs institutionnels qui doivent avoir dans leur portefeuille un certain niveau sur ce type d'actifs vont frapper à la porte du Trésor pour acheter de la dette française. La demande pour le "10 ans" français reste élevée car il y a moins d'obligations allemandes sur le marché. Autrement dit, c'est parce que l'Allemagne est moins dépensière que la France peut dépenser sans se ruiner.
Mais cette situation perdurerait-elle si la note de la France venait à être dégradée? La plupart des économistes s'accordent à penser que ça n'entraînerait pas de changement majeur sur le marché et sur les taux d'emprunt de la France.
"Les notes accordées par les agences de notation n’ont, en tant que telles, aucune importance, estimait en mai dernier Sylvain Bersinger, économiste chez Asterès. Elles n’ont d’impact que si elles influent sur les décisions des investisseurs, et donc sur les taux auxquels s’endettent les Etats. Or, depuis plusieurs années, on constate une déconnexion sensible entre les notes et les taux souverains."
Macron ne croit pas à la baisse des dépenses
Pour les investisseurs, tant que la France offre de bons rendements, peu importe l'avis d'un analyste qui change une lettre de l'alphabet dans un bureau newyorkais.
"Dans le détail, on a beaucoup de Japonais qui achètent de la dette française comme le fonds souverain japonais ou des banques, indique Christophe Dembik. Ça va continuer d'être le cas car il y a un bon retour sur investissement et une couverture de changes."
C'est d'ailleurs probablement l'analyse que fait Emmanuel Macron qui a enterré l’idée d'un projet de loi de finances rectificatives en 2024 qui permettrait au gouvernement de faire davantage d'économies que les 10 milliards d'euros prévus.
Pour le chef de l'Etat qui serait selon L'Opinion "agacé le débat sur les finances publiques", la priorité serait la croissance et le plein-emploi plus que la réduction de la dépense publique. Dans le logiciel présidentiel, c'est l'investissement, la croissance et l'augmentation du taux d'emploi qui dopent les recettes fiscales. Pas question pour lui de sabrer trop durement dans la dépense publique pour réduire le déficit.
Si ce scénario s'est produit en 2022 avec des recettes fiscales plus élevées que prévu grâce à la croissance et l'emploi, il s'agissait d'une année de rattrapage post-Covid. Le potentiel pour les trois ans à venir n'est pas le même et du côté de Bercy on rappelle que c'est aussi en abaissant la pression fiscale (comme les impôts de production) qu'on libère de l'investissement et génère de la croissance chère au chef de l'Etat. Encore faut-il pour ça avoir des marges de manoeuvre, ce dont la France qui a le niveau de dépenses publiques le plus élevé d'Europe (58,3% du PIB en 2022) ne dispose plus.
