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"Le potentiel est énorme": le boom du secteur des livraisons ultrarapides en Inde

Image d'illustrattion - Des gens font leurs emplettes dans un marché bondé à New Delhi le 16 juin 2021 après l'assouplissement des restrictions anti-Covid.

Image d'illustrattion - Des gens font leurs emplettes dans un marché bondé à New Delhi le 16 juin 2021 après l'assouplissement des restrictions anti-Covid. - Prakash SINGH © 2019 AFP

Les "dark stores" se développent à la vitesse grand V en Inde et grignotent les parts de marché des petits commerçants.

Plus qu'un succès, c'est une révolution. Les plateformes de livraison ultrarapide se développent en Inde à la vitesse des motos ou scooters électriques de leurs coursiers, grâce à leur localisation en plein cœur des villes et de leur clientèle.

Un téléphone, un kilo de pommes ou une plante grasse en 10 minutes, 20 minutes maximum. Dans les mégapoles du pays le plus peuplé du monde, il est maintenant possible de se faire livrer tout ou presque en un temps record.

Au centre de Bombay, l'épicier en ligne BigBasket: dans son entrepôt, la mécanique est parfaitement huilée, de la course entre les rayons pour réunir la commande - deux minutes chrono - jusqu'à sa prise en charge par un coursier.

Cofondateur de ce "dark store", Vipul Parekh se frotte les mains. Son activité a connu une "très forte croissance" et il table sur une progression de 60% pour les deux ou trois prochaines années.

"Un secteur qui se transforme et se développe à une telle vitesse, c'est sans précédent", insiste-t-il.

Parties en trombe, les applications de livraison express comme Getir ou Jokr ont marqué le pas en Europe et aux États-Unis, victimes de la pandémie de Covid d'abord, puis de l'inflation persistante qui rabote le pouvoir d'achat de leurs clients.

En Inde, elles continuent à surfer sur la vague.

Le chiffre d'affaires des Zomato, Swiggy et autres Zepto a bondi de 100 millions de dollars en 2020 à... 6 milliards en 2024, selon la firme d'analyse Datum Intelligence.

Et il pourrait atteindre la barre des 40 milliards de dollars d'ici à 2030, anticipe la banque d'investissement JM Financial.

Banlieue versus centre-ville

Pour expliquer ce succès, Vipul Parekh cite la densité de sa clientèle dans le centre-ville où il opère. "Le potentiel de chiffre d'affaires concentré dans ce secteur est énorme", dit-il, "ce n'est pas le cas dans les zones à faible densité".

En outre, relève le patron de BigBasket, la concurrence des grandes chaînes de distribution est quasiment inexistante en Inde et la main-d'œuvre y est particulièrement bon marché.

Avec sa croissance spectaculaire, le marché a déjà attiré des nouveaux concurrents de poids.

Des géants comme Amazon, Flipkart, propriété de la multinationale américaine Walmart, ou encore Reliance Industries, le conglomérat du milliardaire indien Mukesh Ambani, s'y sont lancés sans retenue.

Pour Satish Meena, de Datum Intelligence, l'arrivée de ces poids lourds à la surface financière quasiment illimitée comporte toutefois des risques.

"L'un des gros problèmes de groupes comme Amazon c'est qu'ils fonctionnent à partir de centres logistiques géants situés en banlieue des grandes métropoles", note l'analyste.

"Ces structures ne sont pas adaptées à des livraisons ultrarapides", ajoute-t-il, "ces groupes doivent donc investir dans leurs propres 'dark stores' au cœur même des grandes villes".

Même si le succès des "gros" reste à confirmer, il suscite déjà des inquiétudes.

Le patron du numéro un du marché indien Zomato, Deepinder Goyal, s'est plaint plus tôt cette année de risques de surchauffe du secteur et a accusé certains de ses concurrents de dumping.

La riposte des petits commerces

"C'est un marché assez grand pour deux ou trois acteurs (...) pas six ou sept", juge Rahul Malhotra, du cabinet Bernstein. "Certains des premiers arrivés, qui ont des implantations très locales, y ont clairement un avantage."

Et puis le secteur des petits commerçants, sévèrement étrillé par les plateformes de livraison, a commencé à se rebiffer.

La puissante Confédération des commerçants de l'Inde, qui représente quelque 90 millions de petites entreprises dans tout le pays, souhaite lancer un "mouvement de protestation nationale" contre la multiplication des "dark stores".

Son président les a récemment comparés à une "Compagnie des Indes orientales des temps modernes", en allusion à l'entreprise coloniale britannique qui s'est accaparée les richesses du sous-continent indien à partir du XVIIe siècle.

Les millions de clients convaincus par les mérites des e-commerçants n'en ont cure. Pour eux, le recours aux livreurs express est devenu une habitude dont il leur sera difficile de se passer.

"J'ai juste à appuyer sur quelques touches et tout m'arrive à la maison", s'enthousiasme Rinish Ravindra. A 32 ans, ce salarié de "Bollywood", l'industrie indienne du cinéma, avoue que le e-commerce l'a rendu "fainéant".

"Franchement, quand je pense épicerie ou alimentation", insiste-t-il, "je n'imagine plus autre chose que de commander en ligne..."

HC avec AFP