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Le nombre record de faillites est-il un simple retour à la normale?

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Après trois années de Covid marquées par des défaillances d'entreprises historiquement basses, le rebond observé depuis deux ans reste bien inférieur à ce qui aurait du advenir sans les aides de l'Etat. Mais la défaillance d'entreprises plus importante constatée en 2024 est un signal d'alarme sur un vrai retournement de conjoncture.

Un tsunami de faillites en vue ou une situation pas si inquiétante? Comment interpréter le nombre de défaillances d'entreprises communiqué ce mercredi par l'Observatoire BPCE?

Si on prend les chiffres bruts, il y a de quoi s'inquiéter. Avec 66.422 entreprises qui ont souffert d'une défaillance en 2024 (liquidations et redressements), l'année a été l'"une des pires" depuis 2009. Les défaillances ont même accéléré au 4e trimestre de 2024, avec un total de 17.966, contre 16.712 sur la même période un an plus tôt. Ce sont au total 260.000 emplois qui ont été menacés en 2024 par ces défaillances. Cela ne veut pas dire que tous ces emplois seront détruits et que toutes ces entreprises disparaîtront.

Pour rappel en 2023, ce nombre de défaillances, déjà en hausse de 8%, s'était établi à 56.600, soit près de 10.000 de moins que l'an passé. Pire, pour 2025, L'Observatoire BPCE envisage une légère augmentation des défaillances, à environ 68.000, "un plus haut historique", et +2% par rapport à 2024, avant une possible décrue en 2026.

La situation semble effectivement alarmante. Pourtant, il y a quelques mois, le cabinet d'étude Altares spécialisé dans les défaillances d'entreprises était bien moins anxiogène. D'abord en constatant des "signaux rassurants" avec un nombre de défaillances plutôt en baisse depuis la fin du printemps du fait du retour d'activité dans les entreprises de consommation et une résistance meilleure qu'attendue dans la construction.

Mais surtout en relativisant les chiffres bruts de défaillances annuelles en faisant une moyenne sur plusieurs années. Les années Covid, on le sait, ont été hors-norme avec des niveaux de sinistralité anormalement bas dans le pays: 32.000 en 2020, 28.400 en 2021 et encore 42.500 en 2022. Or avant la pandémie, la moyenne des défaillances tournait autour de 55.000 par an.

Des entreprises qui auraient du disparaitre durant cette période ont été maintenues artificiellement en vie par les différentes aides (PGE, fonds de solidarité, chômage partiel...). Avec le retour à la normale, ces entreprises fragiles auraient disparaitre en masse, ce qui n'a pas été le cas.

Plus de faillites étaient attendues

"Bien sûr qu'une faillite est un drame social, explique Thierry Million, le directeur des études d'Altares, mais si on compare les chiffres par rapport à la période précédente, on aurait dû avoir au moins 70.000 ou 75.000 faillites par an."

Or ce n'est pas le cas, même en 2024. Le nombre de 70.000 défaillances par an qui aurait été logiquement attendu sur plusieurs années n'a pas été atteint et ne devrait pas l'être non plus en 2025 selon l'Observatoire BPCE. Ce qui veut dire que sur les cinq années post-Covid, la sinistralité des entreprises reste inférieure aux cinq années d'avant-Covid.

Il n'y aurait donc pour le moment pas lieu de s'alarmer même s'il faut rester en alerte.

"Le nombre haut de défaillances n’est pas “grave” en soi, reconnaissait ce mercredi Alain Tourdjman, directeur des études et prospectives du Groupe BPCE . En revanche, plusieurs signaux doivent alerter."

Autrement dit, la période actuelle n'est peut-être pas qu'une simple "épuration" d'entreprises fragiles qui auraient normalement du disparaitre.

"Ce qui est grave est qu'elles soient concentrées sur les PME-ETI", souligne Alain Tourdjman.

Ainsi si les défaillances d'entreprises de moins de 3 salariés ont bondi de 25% par rapport à l'avant-Covid, celles des PME et des ETI de plusieurs dizaines voires centaines de salariés sont elles en hausse de 50%. Des exemples d'entreprises connues comme Caddie, Duralex ou encore Le Coq Sportif ont émaillé la chronique sociale en 2024.

Des grosses entreprises fragilisées

"Une taille critique importante et une certaine maturité, habituellement critères de résilience pour une entreprise, ne le sont plus actuellement", a expliqué Julien Laugier, économiste du groupe.

Ainsi selon l'étude de l'Observatoire BPCE, 37% des défaillances évitées se sont désormais manifestées mais le "rattrapage" atteint, voire dépasse, 100% pour les PME-ETI, jusqu'à 130% pour les entreprises de plus de 100 salariés.

Contexte économique morose, situation politique instable, comptes publics en souffrance et politique fiscale sans cap... Les raisons qui explique la fragilisation du tissu des entreprises ne manquent pas. Dans cette période, consommateurs et entreprises sont dans l'attente, ce qui freine la croissance.

"Oui les chefs d'entreprises retiennent leurs investissements, retiennent les créations d'emplois, commencent à en supprimer parce que la consommation ne redémarre pas car les Français épargnent, les investissements ne redémarrent pas, les entreprises ont peur de ce qui va leur tomber dessus, s'alarmait ce jeudi Patrick Martin, le patron du Medef sur BFMTV-RMC. Si on ne prend pas le problème dans le bon sens, le chômage va réaugmenter."

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco