Le Covid-19 vecteur d'inégalités entre mais aussi au sein des pays

Une reprise de l’économie "inégale et différenciée". Dans son dernier baromètre publié ce mardi, l’assureur-crédit Coface se prête au jeu des prévisions économiques dans une période encore marquée par de profondes incertitudes liées à la crise sanitaire.
Pour 2021, les auteurs de l’étude estiment que la croissance mondiale pourrait atteindre +4,3% en moyenne, tandis que le commerce mondial progresserait de +6,7%. Un scénario qui suggère que les "principales économies matures parviennent à vacciner au moins 60% de leur population d’ici l’été".
Des rebonds inégaux entre les pays
Il s’agira malgré tout d’une reprise en trompe-l’œil. Car, sur la période 2020-2021, les 15 économies dont la progression du PIB sera la plus forte par rapport à 2019 se situent toutes en Asie (+6,7% de croissance pour l’Asie émergente après -0,2% en 2020) ou en Afrique, tandis que la moitié des 15 économies les moins performantes se trouvent en Amérique latine. Ailleurs, les principales économies matures ne devraient pas retrouver leur niveau d’activité d’avant-crise cette année.
Ces écarts de croissance vont accentuer les inégalités entre pays. Aux Etats-Unis, la croissance devrait atteindre 3,2% en 2021 après une récession de 3,7% l’an passé. En Europe, Coface distingue deux groupes.
Le premier, composé de la France, des Pays-Bas, de l’Allemagne ou de l’Italie a affiché une baisse de PIB comprise entre 3 et 6 point à la fin du troisième trimestre 2020 par rapport à 2019. L’Allemagne (+3,5% après -5%) devrait notamment rebondir grâce à une industrie puissante très peu touchée par les restrictions sanitaires en profitant notamment de la reprise chinoise pour ses exportations. Partant d’une situation plus dégradée, le PIB français devrait quant à lui progresser davantage (+5,4%) en partie grâce à sa demande domestique tirée par le déblocage de l’épargne forcée des ménages et de la prolongation des mesures de soutien budgétaire et du plan de relance.
Le deuxième groupe de pays européens a davantage souffert avec un recul de l’activité compris entre -9 et -12% à la fin du troisième trimestre par rapport à fin 2019. Il s’agit notamment de l’Espagne (+6,1% en 2021 après -11%) et de la Grèce qui dépendent très majoritairement des services, dont le tourisme. Le Royaume-Uni (+4% en 2021 après -10,8%) ayant quitté l’Union européenne fait également partie de ce groupe.
Dans le reste du monde, Coface évoque les économies émergentes où "l’accès aux vaccins et la capacité des gouvernements à maintenir des politiques budgétaires soutenant les entreprises et les ménages seront deux grandes sources d’inégalités cette année". "De plus, sauf exceptions, ces derniers ne pourront plus compter sur leurs banques centrales pour assouplir la politique monétaire, leurs dernières cartouches ayant été utilisées l’année dernières", poursuit l’assureur-crédit.
Inégalités de revenus
Si les inégalités de revenus vont progresser entre les pays en raison de la crise sanitaire, elles vont également s’accroître au sein même des pays.
Chaque épidémie crée davantage d’inégalités et ces inégalités sont persistantes, on les voit encore cinq ans après", explique sur BFM Business, Julien Marcilly, Chef économiste de Coface.
Déjà en augmentation dans les pays développés depuis le début des années 90, ces inégalités vont s’aggraver. Indice phare de mesure des inégalités l’indice de Gini pourrait même augmenter de 6% dans les pays émergents et en développement et de 3,5 à 7,3% dans les pays européens. Surreprésentés dans les activités de services les plus pénalisées et donc dans la population ayant perdu un emploi l’année dernière, les jeunes, les femmes et les travailleurs moins qualifiés seront les premiers touchés. En effet, 7,4% des travailleurs les moins qualifiés de la zone euro ont perdu leur emploi entre le quatrième trimestre 2019 et le troisième trimestre 2020 alors que l’emploi des individus avec un niveau d’études supérieur a crû de 1,2%. Et les pertes d’emploi chez les jeunes ont augmenté deux fois vite que pour les autres catégories d’âge au premier semestre 2020.
Les pays émergents et en développement seront encore plus concernés. Si la hausse des inégalités n’est, pour l’heure, pas totalement observable grâce aux politiques monétaires et budgétaires expansionnistes qui ont permis d’amortir le choc, nombre d’entre eux n’auront pas la "latitude budgétaire nécessaire pour pérenniser ces dépenses sociales, déjà moindres que dans les économies avancées", souligne Coface. Avant d’ajouter: "Les impacts sur l’emploi et les inégalités devraient être d’autant plus forts que la capacité de travail à distance y est moindre, que de nombreux emplois dépendent du secteur informel et le cadre institutionnel et les systèmes de protection sociale sont fragiles".
Résurgence des mouvements sociaux
Le renforcement et la persistance des inégalités seront d’autant plus importants que la récession est forte. Et elles se traduiront par un chômage durable des travailleurs moins qualifiés. Or, "cette montée des inégalités de revenu, conjuguée à l’insatisfaction des opinions publiques quant à la gestion de la pandémie pour les gouvernements, pourrait (…) favoriser davantage de mécontentement social".
En général, quand il y a eu une pandémie, il y a des troubles sociaux en moyenne un an après", confirme Julien Marcilly.
Et ce d’autant que Coface estime que le risque de fragilité politique et sociale était déjà à son plus haut niveau historique dans le monde avant la crise.