La France, une puissance agricole en déclin?

Il n’y a pas de doute : la France est toujours une grande puissance agricole. En 2022, son excédent commercial agroalimentaire a atteint 10,3 milliards d’euros, son plus haut niveau depuis 2013. Elle est aussi, et de loin, le plus gros producteur européen. Il y a une ombre pourtant, celle de son déclin. Un sujet qui divise.
Beaucoup plus de produits importés dans nos assiettes
“L’agriculture française dévisse,” regrettait Christiane Lambert, éleveuse de porcs et présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la veille de l’ouverture du Salon international de l’agriculture.
Et, en effet, un rapport du Sénat qui date de fin 2022 s’inquiète de tendances qui ne vont pas dans le bon sens.
“À l’heure où le commerce international de produits agroalimentaires n’a jamais été aussi dynamique, la France est l’un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent,” selon le rapport.
L'excédent commercial qui a retrouvé des couleurs l'année dernière reste, malgré tout, moins important qu'au début des années 2010. Côté importation, le constat paraît encore plus cinglant : elles ont doublé depuis l’an 2000, s'alarment les rapporteurs. Un poulet sur deux que l’on consomme n’est pas français tandis que 71% des fruits que nous mangeons sont d’origine étrangère. Même constat pour les légumes (28%) et la viande de mouton (56%).
Alors que nous étions le deuxième plus gros exportateur mondial de produits agricoles il y a deux décennies, nous sommes désormais cinquième ou sixième. Que s’est-il passé ?
Le compte-rendu sénatorial met en avant la baisse du nombre d’exploitations dans l’Hexagone -bien qu’il faille la nuancer par une hausse de la productivité- et surtout des carences compétitives à cause entre autres d’un coût du travail élevé et d'un manque d'investissements.
Si l’on en croit les auteurs du rapport qui notent que notre "potentiel productif s’érode d’année en année,” le déclin est évident et alarmant.
Des fruits ou du lait : tout dépend de ce que vous mettez dans votre assiette
D’ailleurs, hors exportations de vins, la France passerait de plus de 10 milliards d’euros de d’excédent commercial à un solde déficitaire, souligne les rapporteurs.
“Je ne vois pas à quel titre on pourrait enlever un poste pour montrer que tout va mal,” dit Thierry Pouch, économiste, enseignant et membre de l’académie d’agriculture de France.
S'il corrobore les chiffres présentés dans le rapport, il ne partage pas les conclusions sur l'inquiétante érosion de nos capacités agricoles.
Il souligne que si la France est effectivement dépendante de l’extérieur pour certains produits comme les légumes et les fruits - un problème qui date des années 1970, dit-il – ainsi que les huiles et le soja pour ne citer qu’eux, elle est en revanche largement auto-suffisante sur d’autres comme le blé tendre, l’orge, le sucre ou les produits laitiers.
Selon lui, “notre principale difficulté désormais c’est l’Union européenne.”
Depuis plus d'une décennie, la concurrence s’est exacerbée dans l’UE au détriment des produits français qui sont plus chers que ceux vendus par nos voisins comme l’Allemagne et les Pays-Bas. En conséquence, l’Hexagone enregistre des déficits constants dans ses échanges alimentaires intra-européens depuis 2015. Des pertes qui sont, pour autant, largement compensées par notre commerce avec les pays hors UE, dit Thierry Pouch.
D'ailleurs si nos produits sont plus chers, c'est en partie car "on a une production qui est de très bonne qualité," dit-il.
Une force pour certains mais qui peut se transformer en défaut selon le rapport qui critique la stratégie du gouvernement du "tout montée en gamme" qu'il qualifie "d'inadaptée" face à un pouvoir d'achat en berne.
La puissance ou la planète ?
Pour Charles Pernin, délégué général de Synabio, le syndicat des entreprises bio agroalimentaires, la question n’est pas d'être ou de maintenir un statut de grande puissance agricole mais de préserver la planète et la santé des consommateurs.
Les produits bio ont pris de plus en plus de place dans nos assiettes au fil des ans malgré un ralentissement ces dernières années. Le mode de culture biologique a un rendement plus faible que celui de l’agriculture conventionnelle, ce que certains défendeurs de la souveraineté alimentaire et des cultures plus intensives critiquent.
“On peut, en optant pour des formes de production beaucoup moins intensives que l’agriculture conventionnelle, nourrir toute la population,” souligne pourtant Charles Pernin. Pour cela, deux conditions seraient nécessaires : arrêter le gaspillage –qu'il estime à 30% de ce qui est produit- et diminuer la part des produits issus de l’élevage dans nos assiettes.
“On est dans des impasses, dans des modèles qui vont nous emmener dans un mur,” dit-il.
Une planète saine ou une assiette pleine ? Si Synabio veut concilier les deux, Thierry Pouch lui, fait valoir la primauté de l’un sur l’autre : “nourrir c’est quand même une priorité pour la sécurité des peuples.”