L’Etat réfléchit à une nouvelle réforme d’EDF

Le monde de l’énergie est en pleine ébullition. La sortie du gaz russe et la relance du nucléaire en France rebattent les cartes des deux géants EDF et Engie. Au point qu’au sein de l’Etat, actionnaire des deux entreprises, des réflexions inédites ont lieu autour de leur avenir stratégique. Un scénario de refonte globale du secteur est analysé par le ministère de l’Economie des Finances et de la Relance, en lien avec l’Elysée, qui se déroulerait en trois étapes.
Selon plusieurs sources proches des pouvoirs publics, ce schéma s’appuie d’abord sur la nationalisation d’EDF, qu’Emmanuel Macron a évoquée lors de son discours de candidature à la présidentielle, le 17 mars. Il consisterait ensuite en une vente des activités d’énergies renouvelables d’EDF dans le cadre d’un recentrage de l’électricien sur le nucléaire et les barrages.
"L’idée de ce scénario est que les fonds récoltés permettent de financer la construction des six EPR", note un ancien dirigeant d’EDF.
Une pépite de 15 milliards d'euros
Le pôle renouvelables d’EDF, en solaire et éolien, pèsera 37 gigawatts en 2024. Il a généré 815 millions d’euros de marges l’an passé et sa vente pourrait rapporter environ 15 milliards d’euros, selon les banquiers. La relance d’un programme nucléaire est estimée à 50 milliards d’euros avec un "investissement public massif", nous rappelle-t-on au ministère de l’Economie.
Selon nos informations, ces réflexions exploratoires n’ont, à cette heure, conduit à aucune décision. "Mais elles sont sur la table", nous assure un bon connaisseur du dossier. Elles sont alimentées par la banque américaine Goldman Sachs qui échafaude plusieurs scénarios sur l’avenir d’EDF pour le compte de Bercy. Le ministère de l’Economie assure ne "pas avoir de commande du ministre sur ce schéma qui ne fait pas partie des discussions".
La crise d’EDF s’accélère
Les représentants de l’Etat doivent, dès le mois de mai, reprendre les négociations avec la Commission européenne sur l’avenir d’EDF. Mais la situation de l’entreprise a empiré ces derniers mois. Ses résultats financiers seront mauvais pour 2022 et 2023 alors qu’elle vient de boucler son sauvetage public de 3 milliards d’euros. Les arrêts de réacteurs liés à de phénomènes de corrosion risquent de durer jusqu’à l’année prochaine. Et l’approvisionnement en électricité se tend, dans un contexte où la France se prépare à une pénurie de gaz pour l’hiver prochain.
"Ce contexte oblige l’Etat à étudier des options inimaginables il y a quelques mois", ajoute un dirigeant du secteur, paniqué par ces perspectives.
La réforme d’EDF sera l’une des priorités du gouvernement dès le mois de juin. "La régulation des prix du nucléaire va déterminer les contours du futur groupe, précise une source proche de Bercy. Et pas l’inverse". Après l’échec du plan "Hercule" l’an dernier, "l’Etat mène une revue du périmètre et de l’organisation d’EDF", nous explique un acteur du secteur. Des réflexions qui ne font aucun doute pour les investisseurs. Les analystes d’Oddo estiment d’ailleurs que "l’hypothèse d’une nationalisation rapide en vue d’une réorganisation complète d’EDF n’est plus tabou".
Anticiper les difficultés d’Engie
Ce "plan B" est aussi motivé par l’évolution de la situation sur le gaz. La France souhaite baisser de deux tiers les importations de gaz russe d’ici la fin de l’année et s’en passer d’ici 2027. Un objectif qui va lourdement peser sur le profil d’Engie, dont les marges dépendent encore à moitié du gaz. Sans compter l’impact de la prolongation de deux de ses sept réacteurs nucléaires en Belgique.
La vente des activités renouvelables d’EDF pourrait profiter au géant gazier. Et Engie en rêve: "si elles étaient à vendre, nous serions évidemment très intéressés", assure une source proche du groupe. L’entreprise vient de boucler un recentrage sur le gaz et les énergies renouvelables après la vente de leurs activités dans l’eau, avec Suez, et dans les services, avec Equans. Grâce à ces cessions, Engie dispose d’un trésor de guerre de 10 milliards d’euros de cash à investir dans les énergies renouvelables. Une somme qui serait bien utile à EDF...
Engie a aussi l’Etat comme premier actionnaire (24%) qui pourrait ainsi orchestrer lui-même la réorganisation du secteur de l’énergie en France autour d’EDF et d’Engie. "Emmanuel Macron a toujours voulu recomposer le secteur", assure un visiteur régulier de l’Elysée. Il avait déjà ce souhait lorsqu’il était ministre de l’Economie. Un rachat de la branche renouvelable d’EDF par Engie "règlerait le problème stratégique d’EDF et en même temps celui d’Engie", conclut un bon connaisseur des deux groupes. Il fait écho à la mystérieuse phrase d’Emmanuel Macron il y a un mois: "Nous aurons à reprendre le contrôle capitalistique de plusieurs acteurs industriels". Avec EDF et Engie, l’Etat disposerait de deux "bras armés" dans le nucléaire et les renouvelables.