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Vers un métavers aux "caractéristiques chinoises" pour dépasser ceux de l'Occident

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Comme le chinois Tik-Tok semble prendre le dessus, en partie, sur l’américain Facebook, il y a l’idée qu'un métavers chinois pourrait, pourquoi pas, prendre de vitesse ceux des Américains.

L’impulsion politique en Chine pour un métavers national paraît demeurer intacte. Cet environnement virtuel collaboratif censé devenir un espace immersif y est pris très au sérieux. Mais l’Etat le conçoit comme un ensemble à bâtir selon les "caractéristiques chinoises", ainsi qu'il a été élaboré sous Deng Xiaoping un "socialisme aux caractéristiques chinoises", se voulant une adaptation de l’économie de marché au système propre à la Chine populaire.

Le Parti communiste entend reproduire l’immense performance d’un Internet chinois parallèle de celui des Occidentaux, au moment même où ceux-ci, au travers des marchés financiers, commencent à exprimer leurs doutes sur la pertinence industrielle du concept à moyen terme.

Zones pilotes

Le 14ème plan quinquennal du département de l’économie et des technologies de l’information de la municipalité de Shanghai, récemment publié, en fournit l'illustration d’une perception politique chinoise très élargie. Il y est encouragé l’application du métavers dans des domaines tels que les services publics, les bureaux d’affaires, le divertissement social, la fabrication industrielle, la sécurité de la production et les jeux électroniques. Mais il n’est pas fixé, en tout cas dans ce document, d’échéances précises pour ce qui concerne la recherche-développement à mener.

Et ces deux derniers mois, de tels encouragements d’autorités locales se multiplient. La province du Zhejiang, celle du numéro 1 du commerce en ligne Alibaba, fait du métavers une "priorité de développement technologique". Dans un rapport de travail sur l’avenir de ces industries de pointe, la province du Hefei, pour sa part, place en tête de liste le métavers, au même titre que les supraconducteurs et la médecine de précision.

En tout, ce sont dix-huit zones pilotes d’innovation approuvées par le ministère des Sciences qui sont supposées fournir un jour l’infrastructure nationale à partir d’un renforcement des capacités de calcul en matière d’intelligence artificielle.

Investissements "frénétiques"

Mais quelle peut-être la pérennité de ce métavers aux "caractéristiques chinoises" ? La crédibilité d’un métavers à venir aux caractéristiques chinoises, ce sont les principales banques américaines d’investissement elles-mêmes qui la lui accordent. Dans une note d’analyse, Morgan Stanley évalue le potentiel de ce seul marché chinois à 8000 milliards de dollars, alors que Goldman Sachs a récemment avancé ce montant pour l’ensemble des métavers de par le monde.

Un média économique privé à Pékin, Caixin, évoque l’entrée dans un cycle d’investissements "frénétiques", dans lequel à présent des dizaines de groupes chinois soutiennent qu’ils vont construire "le domaine numérique du futur", cela en dépit des "récriminations officielles".

Ce mécontentement étatique se traduit, ces dernières semaines, par une succession de documents officiels qui ne visent pas qu’à encourager, mais aussi à encadrer et réguler : pas plus que le précédent, cet environnement virtuel ne saurait échapper à l’Etat chinois.

"Idéologie utopique numérique"

De ce point de vue, le débat intellectuel se révèle nourri. On peut en avoir un aperçu dans une série d’articles, le mois dernier, d’une publication en ligne anglophone supervisée par le comité de Shanghai du Parti communiste, se voulant une mise en garde contre "l’idéologie utopique numérique" selon laquelle tout peut être métavers. Ceci rend urgent, d’après un groupe de réflexion de l’organe central du Parti, un "apport de conseils rationnels" de la part du gouvernement.

Aussi, un professeur d’économie, Nie Huihua, de la prestigieuse Université Renmin de Pékin, écrit qu'à bien des égards, "le monde virtuel est incompatible ou du moins très vague à leur sujet, avec de nombreuses normes juridiques, éthiques, culturelles et réglementaires du monde réel". Une conviction se diffuse donc, voulant comme avec la reprise en main extrêmement vigoureuse des grands noms de la technologie chinoise, ayant formé un oligopole, que l’Etat va, dès cette année, appliquer un tour de vis réglementaire à ceux qui se sont lancés dans ce métavers national.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international