Un fantassin sur le front dispose de 5 minutes avant qu’une frappe soit déclenchée: l'Otan se réunit à Bruxelles pour trouver la riposte à la guerre des satellites et des drones russes

Un militaire ukrainien pilote un drone, à Kamianets-Podilskyi, dans la région de Khmelnytsky, le 5 octobre 2025 - YURIY DYACHYSHYN / AFP
Désormais, sur une bande de 15 km de profondeur le long de la ligne de front, chaque mouvement au sol est perceptible quasi instantanément. Autrement dit, le champ de bataille est devenu totalement transparent. C’est le constat du général Bruno Baratz, commandant du combat futur de l’Armée de Terre, à la tête d’un commandement fraîchement créé pour réfléchir à la transformation de l’Armée sur le terrain.
Aujourd’hui, observe Bruno Baratz, un fantassin sur le front n’est jamais à l’abri. Continuellement surveillé par les satellites, il dispose de cinq minutes avant qu’une frappe soit déclenchée, car il est repéré en temps réel, non seulement par les satellites mais aussi par des technologies acoustiques et électromagnétiques terrestres.
Cette révolution technologique rebat les cartes de la guerre traditionnelle, et il devient difficile d’appliquer les anciens principes de manœuvre et de dissimulation. Il faut repenser le terrain, comme si on évoluait sur un échiquier :
Il faudra être capable de tromper l’ennemi sur nos intentions plus que sur notre dispositif qui sera visible quasiment en temps réel, explique Bruno Baratz dans le podcast "Pensez stratégique". Un peu comme dans une partie d’échecs où tout le monde voit les pièces, mais où l’intention de l’adversaire demeure inconnue."
Cette nouvelle configuration exerce une pression psychologique bien plus forte sur les troupes au sol, conscientes d’être des cibles faciles, exposées en permanence, aussi bien depuis l’espace qu’à portée des drones – qui font voler en éclats notre manière de faire la guerre.
Les drones "low cost" congestionnent le ciel, les missiles "high cost" en profitent pour percer
L’Otan et les observateurs occidentaux ont été clairement surpris par l’échelle, la tactique et l’industrialisation de l’usage des drones par la Russie. Personne n’avait anticipé une telle montée en puissance.
Les ministres de la défense de l’Otan sont actuellement réunis à Bruxelles pour préparer la riposte, alors que la Russie pourrait être prête à "un conflit militaire direct avec l’Otan" avant 2029, selon le renseignement allemand.
Les stratèges français ont désormais bien identifié la méthode russe : saturer le ciel ukrainien de drones bon marché afin d’épuiser la défense anti-aérienne, avant d’envoyer des missiles plus perfectionnés. Le " low cost" congestione le ciel, le "high cost" en profite pour passer.
"La force du drone, c’est l’excellent rapport efficacité-coût: il permet de produire des effets militaires en masse et à très bas coût, confirme le contre-amiral Rémi Thomas, sous-chef d’état-major plans et programmes. Ces drones sont un concentré de haute technologie, mais de la technologie pas chère."
La méga-usine Russe au coeur de la guerre des drones
Les drones sont désormais au cœur de la stratégie de Vladimir Poutine. La Russie a inauguré, en juillet 2023, à Ielabouga (République du Tatarstan), la plus grande usine de drones du monde, où elle produit une copie des redoutables drones Shahed, conçus par l’Iran.
Moscou veut diviser par dix le coût unitaire du drone Shahed, passant de 200.000 à 20.000 dollars. Pour soutenir cette montée en cadence, la Russie aurait recruté massivement plusieurs centaines de femmes africaines, attirées par des salaires confortables, parfois sans connaître la nature exacte de leur emploi (assembler les drones), selon plusieurs ONG.
L’usine d’Ielabouga est devenue un objet de fierté patriotique, avec les images des chaînes de fabrication diffusées sur la chaîne d’État Zvezda. L’objectif affiché: envoyer en Ukraine jusqu’à 2.000 drones par nuit d’ici novembre.
Le label "testé en Ukraine" est devenu un vrai argument de vente
Côté ukrainien, le conflit est devenu un gigantesque laboratoire pour l’industrie militaire. L’Ukraine prévoit de produire environ 4,5 millions de drones en 2025, cinq fois plus qu’en 2023, principalement des drones FPV et kamikazes, pour saturer les lignes russes. Cette mobilisation massive a donné naissance à une "Silicon Valley militaire" où chaque innovation est testée en situation de guerre réelle.
En trois ans, l’Ukraine est passée d’une poignée à plus de 500 fabricants de drones. Les industriels occidentaux, turcs, sud-coréens et israéliens envoient leurs prototypes sur le terrain, si bien que le label "testé en Ukraine" est devenu un vrai argument de vente.
Aujourd’hui, l’Europe entend capitaliser sur cette expérience ukrainienne de la guerre des drones. Ursula von der Leyen a annoncé, le 10 septembre, une alliance industrielle et technologique avec Kiev : l’idée est d’industrialiser à l’échelle du continent le modèle ukrainien, pour répondre à la nouvelle donne imposée par Moscou.