Soudan: comment Moscou renforce son influence

Moscou et Khartoum ont trouvé un accord pour l’implantation d’une base navale russe à Port-Soudan. Si ce projet se concrétisait, la Russie rejoindrait plusieurs nations implantées dans la zone dont les États-Unis, la Chine et la France. Ces trois pays ont des bases, plus au sud, à Djibouti.
La Russie est absente de la région depuis la chute de l’ère soviétique. Il y a plus de 30 ans, Moscou a dû fermer ses bases en Éthiopie et en Somalie, à Berbera, en bordure du golfe d'Aden.
La mer Rouge est une zone stratégique. Cette route maritime, qui relie le canal de Suez à l'océan Indien, est l'une des voies navigables les plus importantes au monde.
Cette annonce intervient quelques semaines après le renversement de Bachar al-Assad. Un renversement qui fait planer le doute sur l'avenir de la base navale russe de Tartous.
Il s’agissait du seul centre de réparation et de réapprovisionnement de la Russie en Méditerranée, son seul accès aux mers chaudes. La base servait notamment à faire transiter vers l’Afrique les hommes et les armes de Wagner devenue Africa corps. Elle permettait aussi à Moscou de surveiller les activités de l’OTAN en Méditerranée.
L’intérêt pour le Soudan ?
C’est le camp du général Abdel Fattah Al-Burhan qui a donné son aval à Moscou. L’armée soudanaise, en guerre contre les Forces de soutien rapide (FSR), contrôle la région de Port Soudan.
En échange de l’autorisation de s’établir, Moscou se propose de livrer des armes, des missiles, patrouilleurs, des pièces détachées pour des hélicoptères et des drones. La plateforme logistique pourrait être capable d'accueillir 300 personnes et quatre navires de guerre, dont des bâtiments à propulsion nucléaire.
“Il n'y a aucun obstacle” à ce projet a déclaré le ministre soudanais des Affaires étrangères, alors qu’il recevait son homologue russe, Sergueï Lavrov, il y quelques jours.
Il s’agit d’une victoire pour le Kremlin qui ambitionne de construire cette base sur les rives de la mer Rouge depuis une dizaine d’années.
Un accord de défense d’une durée de 25 ans avait été signé sous la présidence d’Omar el-Béchir. Mais en 2019, ce dernier a été évincé, ce qui a retardé le projet. Le pays a ensuite sombré dans la guerre civile et visiblement ce contexte tragique a finalement joué en faveur de la Russie.
Une approche opportuniste
Pourtant, l'été dernier encore, les mercenaires russes combattaient aux côtés des paramilitaires soudanais. Moscou joue en fait sur les deux tableaux. Les Forces de soutien rapide contrôlent les mines d’or du pays. En échange de leur appui, les miliciens russes ont la permission de piller les réserves.
Mais récemment, les FSR ont perdu du terrain et l'armée soudanaise est "de plus en plus confiante dans ses chances de l’emporter". Dans ce contexte, le Kremlin se tient aussi fermement aux côtés du général Abdel Fattah Al-Burhan.
Pour Igor Delanoë, directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe "cette approche bicéphale fait penser à ce qu’il se passe en Libye, où les Russes se placent des deux côtés des tranchées. L'objectif est de cultiver une proximité avec les deux parties"
Moscou ne souhaite pas choisir son camp. "Lorsque la situation sera stabilisée, les conditions seront réunies pour développer l'exploitation minière du Soudan", a déclaré Sergueï Lavrov qui assument pleinement une approche opportuniste.