Pourquoi l'Europe veut encadrer les "fonds de litige", parmi les plus rentables au monde

Des retours sur investissement de plus de 300% : c'est à l'un des secteurs les plus rentables de la finance internationale que l'Europe pourrait s'attaquer le 3 septembre. La Commission Européenne, alertée par un rapport du député européen Axel Voss paru mi-2022, va clôturer mardi un audit portant sur les fonds de litige, l'un des placements les plus rentables et les plus controversés.
Leur fonctionnement est simple et prend place devant les tribunaux : des fonds viennent soutenir financièrement des plaignants lors d'un procès, contre de grandes entreprises notamment. En permettant d'embaucher des avocats et de constituer une défense de qualité pendant plusieurs années, ils s'adjugent ensuite des frais qui peuvent osciller entre 20 et 50% de l'argent récupéré par les victimes, en cas de victoire.
Les exemples de telles procédures ne manquent pas : l'un des principaux acteurs français du secteur, Deminor, a par exemple soutenu 2.500 plaignants lors de l'affaire Madoff ; l'américain Gramercy vient de verser 550 millions de dollars pour soutenir 700.000 plaignants en lutte contre les miniers BHP et Vale ; TikTok, visé par des plaintes collectives sur la violation de données, voit des financiers affluer pour amener la procédure à son terme, depuis 2020.
Faillite possible, débat sur les revenus
L'industrie des fonds de litige n'est pas extrêmement développée. Le principal acteur français du secteur, IVO Capital Partners, ne déclare que 47 transactions réalisées en 10 ans, pour 115 millions d'euros déployés fin 2023. A l'échelle mondiale, ce serait environ 40 à 80 milliards d'euros qui seraient fléchés vers les victimes.
L'Australie, les Pays-Bas, les Etats-Unis sont les plus grands pourvoyeurs ; mais en Europe, Paris a de nombreuses compétences en matière d'arbitrage judiciaire international et pourrait voir se développer ces fonds. Qui comportent, comme tout placement financier non-régulé, des risques importants : l'acteur américain LexShares a renoncé à l'un de ses fonds et limogé du personnel après que la pandémie ait entrainé des retards dans les décisions judiciaires.
Les fonds de litige ne gagnent pas tous les procès, loin de là, et peuvent essuyer des pertes élevées. Leur rentabilité fait d'ailleurs débat : à nos confrères des Echos, le dirigeant d'IVO Charles Demoulin témoigne que 20% des cas sont perdus, et que la firme vise une rentabilité de 12% par an, une fois les assurances comprises.
Des chiffres qui contrastent avec le rapport rendu par Axel Voss, qui cite une rentabilité pouvant atteindre 300% à 3000% - étalée sur la durée de la procédure. IVO estime que sans les assurances, son rendement est 20 à 25% net.
Burford Capital, l'un des principaux fonds mondiaux, dément les accusations de Voss, en publiant ses chiffres : il parle d'un retour sur investissement net de 11% par an. Mais souligne tout de même que sur les 173 cas dans lesquels il est intervenu entre 2009 et 2022, il a généré à 22 reprises un rendement de plus de 200% - avec un rendement moyen à 69%.
Les Etats s'inquiètent des ingérences, les patrons des procès
L'Europe pourrait décider de réguler plus efficacement le secteur en imposant un taux maximum aux commissions prises auprès des plaignants. Le Parlement européen avait déjà validé une large partie des mesures proposées par Axel Voss.
L'argument éthique - imposer des frais à une victime pour lui permettre de se défendre, en générant des profits à sa victoire - est au centre de la position européenne. L'Allemagne a déjà plafonné à 10% les commissions, et le Royaume-Uni a interdit une rémunération en pourçentage - règle très vite contournée.
Les autorités américaines, de leur côté, font part de leur inquiétude sur de possibles ingérences russes dans le domaine : le Kremlin pourrait profiter de l'opacité des règles actuelles pour s'immiscer dans des procès et déstabiliser de grandes firmes. L'industrie répond qu'à l'inverse, c'est surtout pour défendre les intérêts de ces grandes multinationales que la Chambre de commerce américaine, notamment, pousse pour plus d'encadrement.
Le débat s'annonce épineux le 3 septembre, donc - mais il ne devrait pas remettre en question les fonds de litige, dont les perspectives s'annoncent notamment radieuses grâce à la multiplication des procès dans le domaine de l'environnement.