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Pourquoi Kiev veut acheter des réacteurs nucléaires russes

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En Ukraine, le parlement vient d’autoriser l’achat à la Bulgarie de deux anciens réacteurs nucléaires russes. Un projet qui fait polémique.

Ironie de l’histoire, c’est du matériel russe qui pourrait prochainement permettre à l’Ukraine de produire de l’électricité. La question de l’indépendance énergétique est centrale depuis le début de la guerre pour le pays et l’ensemble des Européens. Les négociations entre Kiev et Sofia ont débuté en 2023.

Le projet est simple sur le papier. D’un côté, la centrale nucléaire ukrainienne de Khmelnytskyï, située à environ 300 kilomètres à l’ouest de la capitale, abrite deux réacteurs inachevés depuis les années 1980. Le chantier s’est arrêté après la catastrophe de Tchernobyl, suite à un moratoire.

De l’autre, la Bulgarie qui dispose de deux réacteurs de conception soviétique, livrés par Moscou il y a une dizaine d’années. Ils devaient être installés dans la centrale nucléaire de Bénélé mais le projet a été abandonné. Et depuis il prennent la poussière.

Coût d’achat de ces réacteurs d’occasion: au minimum 600 millions d’euros.

Importance "stratégique"

Pour les autorités ukrainiennes, il s’agit là d’une affaire. Le ministre de l'Énergie, Hermann Halushchenko, évoque une acquisition d’importance "stratégique".

"L'énergie nucléaire est la base de notre système énergétique. C'est en grande partie grâce à elle que nous avons de la lumière et de la chaleur, malgré les attaques constantes", explique Hermann Halushchenko.

Volodymir Zelensky le soutient. Selon lui, développer ainsi la centrale de Khmelnytskyï permettra d'éviter les coupures de courant en hiver et de faire baisser les prix de l'électricité. Le président ukrainien devrait bientôt signer le projet de loi autorisant l’achat des deux réacteurs russes.

Accord controversé

Mais le projet fait polémique pour plusieurs raisons. Le développement de centrales nucléaires en plein guerre ne rassure personne et encore moins les Ukrainiens. On se souvient de l’inquiétude née et qui perdure depuis la saisie puis de l’occupation par les Russes de la centrale de Zaporijjia.

Par ailleurs, plusieurs élus estiment que le projet ne contribuera pas à augmenter la production d’électricité sur le court terme or, il y urgence. Moscou continue d’endommager avec ses frappes l’approvisionnement énergétique du pays. Pour eux, ils seraient plus judicieux d’acheter des armes avec cet argent. La qualité du matériel est aussi mise en doute.

Pour le think tank ukrainien, Razumkov, les réacteurs en question sont "de la camelote russe par excellence". On ignore dans quel état précisément se trouvent ces réacteurs après dix années de stockage.

Autre point et non des moindres: l’opposition et la société civile réclament la démission du ministre de l’Énergie, l’accusant de "corruption systémique". Energoatom, la compagnie nationale de production d'énergie nucléaire, fait actuellement l’objet d’une enquête pour détournement de fond (10 millions d’euros auraient été détournés par des responsables l’an dernier).

Où trouver l'argent?


Demeure également la question du financement. Qui va régler la facture? L'Union européenne a déjà prévenu: elle ne mettra pas la main à la poche.

"L'UE ne finance pas le développement de centrales nucléaires, notamment parce qu’elle a des positions différentes sur l'énergie nucléaire", explique Katarina Mathernova, ambassadrice de l’UE en Ukraine.

Sous Biden, des sources proches du dossier affirmaient que les États-Unis pourraient aider Kiev à payer l’addition en fournissant des fonds à Energoatom. "Les États-Unis soutiennent l’indépendance et la sécurité énergétiques de l’Ukraine", martelait l’administration démocrate, mais que fera Donald Trump?

Le gouvernement ukrainien qui est à court d'argent envisage de contracter des prêts à l’étranger. Il va lui falloir trouver des sources de financement, d’autant qu’en plus des centrales il lui faudra acheter de l'uranium pour les alimenter.

Caroline Loyer