Hong Kong : «les autorités doivent gérer la politisation d’une génération»
S’opposer au gouvernement chinois ? Il n’y a qu’à Hong Kong que l’on peut imaginer une telle scène. 5 ans après la révolution des parapluies, la ville connait un nouveau mouvement de protestation d’ampleur. Depuis plus d’un mois, les manifestations et grèves se succèdent, parfois dans un climat de violence, chose extrêmement rare à Hong Kong. « C’est un mouvement sans précédent » insiste Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique, sur le plateau de 12H, l’Heure H.
Il faut dire que la région administrative spéciale (RAS), rattachée au continent depuis 1997, reste un ilot d’indépendance, notamment grâce à l’accord entre le Royaume-Uni et la Chine, dans le cadre de la rétrocession, qui prévoyait une continuité de son système capitaliste pour au moins 50 ans. « Le mouvement est là pour durer » poursuit Antoine Bondaz. « C’est une génération qui manifeste. Cette génération qui voit la date de 2047 arriver. » 2047, c’est la fin du système "un État, deux systèmes" et les plein-pouvoirs pour Pékin sur la cité.
Une deadline redoutable pour de nombreux hongkongais qui n’ont pas l’intention de tomber dans l’escarcelle du pouvoir central. Et pour maintenir son rapport de force, Hong Kong peut compter sur sa puissance économique. Troisième centre financier du monde, la ville se targue d’une belle croissance annuelle. Même par mauvais temps.
Victime collatérale
2018 a justement été une année plus compliquée pour la ville. Avec une hausse de 3%, le PIB n’a pas cru autant qu’en 2017. Et la situation pourrait légèrement s’aggraver en 2019 avec un objectif de croissance situé entre 2 et 3%, au mieux. « Les prévisions de croissance sur l’année 2019 ont été revues à la baisse » indique Antoine Bondaz. « Cela tient tant à la guerre commerciale qu’à la situation sur place. »
Hong Kong est une des premières victimes collatérales de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. Ce sont d’ailleurs ses deux premiers partenaires commerciaux (50% et 7% de ses échanges de biens respectivement en 2018). L’impact des mesures tarifaires s’est donc fait clairement sentir à la fin de l’année 2018. La croissance est ainsi passée de 4,6% au premier trimestre à 1,3% au dernier… Pour cette année, la ville a connu une croissance de 0,6% au deux premiers semestres.
Et les incertitudes devraient perdurer cette année. Selon le FMI, une hausse des droits de douane américains sur 200 milliards d’importations de biens chinois (de 10 à 25%) conduirait à une perte pour Hong Kong de 2,5 points de PIB notamment à travers les chocs sur les marchés financiers.
Autre risque, celle de la croissance continentale. Pékin a ainsi vu son activité ralentir l’an passé et cela a un impact immédiat sur Hong Kong. En 2017, Moody’s et Standard & Poor’s ont abaissé la note de la dette souveraine de la RAS en raison de sa forte interconnexion avec la Chine continentale.
La dépendance au dollar
Pour se maintenir, Hong Kong espère aussi beaucoup du tourisme. En 2018, il a atteint un record : 65,1 millions de touristes (soit +11,4%)… dont 51 millions venant de Chine. Encore une fois, un ralentissement chinois aurait un impact direct sur son économie.
Sur le plan immobilier, la surchauffe des prix entre 2004 et 2018 a entrainé une forte correction avec une chute des prix de l’immobilier résidentiel de 8,9% entre juillet et décembre 2018. De la même façon, le dollar de Hong Kong a un taux de change fixe (entre 7,75 et 7,85 HKD pour 1 USD) et une hypothétique hausse des taux américains pourraient affecter la consommation des ménages et surtout des prêts immobiliers accordés à taux variables.
Les troubles actuels ne vont pas faciliter le renouveau. « Une des stratégies de Pékin était d’utiliser l’aspect économique, en disant : ‘regardez le coût économique de ces manifestations !’ » explique Antoine Bondaz. « Mais les revendications politiques des manifestants sont plus importantes que leurs avantages économiques. Et c’est un vrai problème pour pékin. »
Craintes pour la Greater Bay Area ?
Reste la grande question de la Greater Bay Area, une mégalopole qui regrouperait à la fois Hong Kong, Macao et 9 autres villes chinoises dont Canton et Shenzhen. Une formidable opportunité pour les hommes d’affaires hongkongais de profiter des talents des voisines dans l’électronique mais une inquiétude aussi de voir Hong Kong diluer sa puissance dans une zone de 80 millions d’habitants.
Le projet reste majeur pour la Chine. D’ici 2035, la Greater Bay Area pourrait disposer d’un PIB supérieur à celui de la France ou du Royaume-Uni. A condition que le calme revienne à Hong Kong pour assurer une croissance puissante. « Le problème, c’est que les autorités doivent gérer la politisation d’une génération entière. Et cela va avoir des conséquences à plus long terme » insiste Antoine Bondaz.
Les prochaines semaines seront déterminantes. Si le spectre d’une reprise en main de la RAS par l’armée chinoise plane, ce ne pourrait être qu’en dernier recours. Hong Kong perdrait alors une bonne partie de son attractivité financière et ce n’est ni l’intérêt de la ville, ni celle de Xi Jinping.