BFM Business
Guillaume Almeras

Que peuvent faire les banques face à la concurrence des Big Tech?

L'Apple Card

L'Apple Card - Apple

[AVIS D'EXPERT] Pour les banques traditionnelles, la menace ne viendrait pas d'abord des néobanques, mais plutôt des Big Tech qui disposent d'une large palette d'avantages concurrentiels à même de séduire les plus jeunes. C'est en tout cas ce qui ressort d'une évaluation de l'’Autorité de la concurrence que décrypte notre expert.

L’Autorité de la concurrence a décidé de mener une évaluation du secteur des nouvelles technologies appliquées aux activités financières et, plus particulièrement, aux activités de paiement. Les conclusions de l’instruction menée dans ce cadre, qui viennent d’être publiées, s’efforcent de ne pas dresser un constat trop alarmant pour les banques - qu’on ne peut cependant s’empêcher d’entendre!

Dans leurs grandes lignes, ces conclusions n’ont rien de surprenant. Elles prennent acte des nombreuses innovations que connait le secteur des paiements en termes de services depuis plus d’une décennie, liées à l’apparition d’une multitude d’acteurs.

Parmi ces derniers, selon l’Autorité de la concurrence, les fintechs ne posent pas particulièrement de problèmes. Certes, la concurrence qu’elles font aux banques n’est pas exactement équitable mais elle est salutaire dès lors qu’elle pousse les banques à innover, sans leur créer de considérables menaces. Au contraire, banques et fintechs tendent à se rapprocher, aux bénéfices des consommateurs.

Tel n’est pas le cas, en revanche, des Big Tech (les GAFAM essentiellement), apparus plus récemment sur le marché des paiements et des services qui peuvent leur être associés. La menace que ces nouveaux acteurs sont à même d’exercer sur les banques traditionnelles est autrement considérable. Ils disposent en effet d’une très large communauté d’utilisateurs. Ils ont accès à d’importants volumes de données personnelles et ils maîtrisent les nouvelles technologies permettant de traiter et d’analyser de telles données. A quoi s’ajoute une puissance financière considérable.

Avantages concurrentiels pour les Big Tech

En raison d’économies de gamme, les Big Tech font face à des coûts marginaux moins élevés que ceux des acteurs bancaires traditionnels, ce qui renforce leur capacité à offrir aux consommateurs leurs solutions de paiement à titre gratuit. Tandis qu’ils peuvent, dans le même temps, obtenir des avantages conséquents de la part de leurs partenaires ou prestataires, s’agissant des services de paiement, y compris sous forme de commissions, du fait du caractère incontournable de leurs services.

"Enfin, les grands acteurs du numérique jouissent, avec bien sûr des spécificités propres à chaque acteur, d’une image de marque et d’une notoriété susceptibles de favoriser, dans le cadre de la prestation de leurs solutions de paiement, la fidélisation de certains utilisateurs, en particulier les plus jeunes dans le contexte des avantages offerts par leur écosystème."

Autant dire – même si l’Autorité ne le dit pas aussi crûment – que les Big Tech disposent d’avantages concurrentiels avec lesquels personne n’est en mesure de rivaliser! Ce qui pose un double problème de concurrence: une absence de conditions de compétition équitables pour les banques et les fintechs. Mais aussi - on le souligne beaucoup moins et c’est l’un des regards les plus intéressants qu’apporte l’Autorité – un manque de liberté de choix pour les consommateurs.

Même s’il n’est pas complet – l’Autorité néglige un peu trop les ambitions des plus grandes banques américaines qui accompagnent les GAFAM, aussi bien que la poussée actuelle sur les services liés aux paiements de Visa et de Mastercard – l’avertissement n’est pas contestable. Que faudrait-il faire dès lors? Légiférer? L’Autorité ne l’envisage pas vraiment et cela paraitrait de toute façon délicat car les GAFAM ne seront pas seulement des concurrents pour les banques mais également, avec le développement du e-commerce, des distributeurs incontournables pour leurs produits.

Des arguments pour séduire les jeunes générations

Or, à cet égard, avec son regard propre, l’Autorité décrit très bien ce qu’il va se passer. Elle parle de "verrouillage des clients dans un écosystème donné". En s’appuyant sur leur connaissance des utilisateurs, sur leur capacité à obtenir les meilleures conditions des vendeurs, ainsi que sur les raccourcis ergonomiques de leurs applis mobile, les Big Tech vont être à même de proposer une expérience de paiement d’une facilité incomparable, qui dissuadera les consommateurs, notamment les plus jeunes générations, de se tourner couramment vers d’autres moyens de règlement.

L’inertie des comportements est très forte dans le domaine financier. Jusqu’ici, il a toujours fallu pratiquement une génération pour qu’un nouveau moyen de paiement s’impose largement et, la plupart du temps, sans remplacer rapidement les autres. Or cette inertie des comportements, qui aura largement protégé les banques face à de nouveaux acteurs concurrents, finira-elle par se retourner contre elles? Les consommateurs vont-ils avoir une tendance irrésistible à utiliser leur mobile et les applis des Big Tech pour régler de plus en plus leurs dépenses, parce que cela leur paraitra le plus commode et sans qu’aucune alternative ne puisse donc réellement apparaitre ?

Certes, à ce stade rien n’est encore joué. Certains comptent ainsi sur la généralisation des paiements biométriques ou des objets connectés. L’Autorité cite l’European Payment Initiative, qui vise à créer un système paneuropéen de paiement qui pourrait permettre de connecter les banques entre elles sans utiliser les réseaux de Visa ou de Mastercard. Il n’en reste pas moins, selon elle, qu’il existe "un risque pour les acteurs bancaires traditionnels qu’ils se trouvent cantonnés à des tâches d’exécution comportant pour eux des coûts fixes importants (charges réglementaires, réseau physique, infrastructures de paiement), tout en étant marginalisés dans la chaîne de répartition de la valeur."

Dès lors, pour répondre à ce risque, compte tenu de l’avantage concurrentiel incomparable des Big Tech, la meilleure option pour les établissements financiers n’est-elle pas de travailler sans délais à repositionner leurs services et leur relation client dans un monde où l’ouverture d’un compte et l’obtention de moyens de paiement performants et même de crédits court terme seront de moins en moins pris en compte dans le choix d’une banque?

Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor