Les mauvais résultats des banques de détail françaises annoncent-ils la fin de leur modèle? La vision d’un observateur averti

Les résultats financiers des banques françaises ne sont pas au beau fixe... Et si c'était la faute de leur modèle, assez unique, qu'elles n'ont pas su réinventer? - Pixabay
Depuis deux ans, les banques de détail françaises enregistrent des résultats exécrables. Dans un contexte marqué par la stagnation du marché immobilier et un nombre très élevé de défaillances d’entreprises, la production de crédits de l’un des principaux groupes bancaires mutualistes s’est ainsi effondrée de 40% au premier semestre 2024, quand le coût du risque bondissait de 39% chez l’un de ses principaux concurrents.
La banque de détail représente entre 40% et 60% du revenu des groupes bancaires français. Mais elle ne contribue plus qu’à hauteur de 28% à leurs bénéfices, contre 40% en 2016. Est-ce le signe d’un essoufflement durable?
Ces dix dernières années, se laissant porter par un marché immobilier favorisé par des taux d’intérêt historiquement bas, les banques françaises n’ont pas engagé les transformations d’ampleur qui ont eu lieu ailleurs. Aujourd’hui, leur coefficient d’exploitation moyen atteint 73%, contre 58% pour les banques allemandes et 41% pour les banques espagnoles. La France compte deux fois plus d’agences bancaires par habitant que dans ces deux pays. Tandis qu’à l’heure de la numérisation et malgré de nombreux départs en retraite, les effectifs des banques n’ont baissé que de 2% en moyenne en France depuis 2016, contre 13% dans l’ensemble de l’UE.
Un modèle à bout de souffle?
Le modèle bancaire français –le modèle d’une banque universelle- est-il à bout de souffle? Sa transformation aura-t-elle un inévitable coût social, comme l’a récemment suggéré le cabinet AT Kearney? Ces questions décisives ont été posées à Ronan Le Moal.
Tous ceux qui suivent les évolutions financières lui reconnaissent d’avoir été, comme Directeur général du Crédit Mutuel Arkéa de 2008 à 2020, le principal initiateur d’innovations et de changements à la tête d’une banque en France ces dix dernières années. Or, pour Ronan Le Moal, les mauvais résultats actuels des banques de détail résultent essentiellement d’un effet conjoncturel mécanique –l’impact ruineux de la hausse des taux sur les marges bancaires, dans un pays où les banques prêtent principalement à taux fixes– qui, tout aussi automatiquement, favorisera la restauration de ces marges à terme (si les taux, bien sûr, ne continuent pas à grimper).
Pour autant, les banques de détail sont bien confrontées à une conjonction de facteurs qui modifient structurellement l’exercice de leurs activités: l’apparition de nouveaux acteurs concurrents bien plus agiles qu’elles, une véritable prise de pouvoir par les consommateurs et la fragmentation d’une chaine de valeur qui, traditionnellement, de la conception à la distribution de leurs produits, permettait aux banques de fonctionner de manière intégrée.
Ces trois phénomènes sont indissociables: parce que des néobanques et certains acteurs de la Big Tech sont apparus, l’offre bancaire s’est modifiée. Cette concurrence la rend davantage soumise à l’arbitrage des consommateurs et ses relais tant de conception que de distribution ne peuvent que s’élargir, hors des circuits bancaires classiques. Nous n’avons plus besoin d’avoir une banque. Nous avons besoin de services bancaires que des acteurs très différents peuvent désormais nous procurer.
Tout tourne ainsi autour de l’expérience client et la relation bancaire en est totalement renversée. En soulignant que la banque reste le seul commerce pouvant refuser de vendre ses produits à ceux qui les lui demandent sans avoir à s’en justifier, Ronan Le Moal juge que nous assistons au renversement d’un véritable rapport de force, historiquement favorable aux banques, dont ces dernières doivent bien comprendre l’envergure.
Car les facteurs de transformation mentionnés ne briseront pas le modèle universel des banques françaises si celles-ci savent s’y adapter, c’est-à-dire faire passer l’expérience client avant l’écoulement des produits, travailler en architecture ouverte avec différents partenaires et élargir leurs réseaux de distribution.
Mettre véritablement les clients au centre du jeu
Par rapport à ces enjeux de transformation structurelle, limiter les coûts ne suffira pas. Pas plus que de fermer abruptement un grand nombre d’agences. En revanche, si la mauvaise adaptabilité des chaines historiques de traitement est certainement un frein, les banques françaises ont les moyens de les faire évoluer. En somme, alors que la plupart des banques françaises restent focalisées sur la vente de produits et orientent leur fonction de conseil en conséquence, le changement doit être profond. Il conduira à repenser la formation des résultats, qui ne pourra plus reposer en large partie sur des commissions "qui tombent toutes seules", tandis que la tarification ne suit pas assez la valeur ajoutée réellement créée pour les clients.
Ces dernières décennies, les activités bancaires ont été beaucoup industrialisées, finalement au détriment de la relation client, que les chargés de clientèle ne sont plus à même de centraliser. Contre cette dérive, mettre véritablement les clients au centre du jeu pourrait redonner une pleine vigueur au modèle des banques de détail ; lesquelles pourraient même ainsi créer de nouveaux emplois, selon Ronan Le Moal. Le coût social de leur transformation –il est vrai annoncé depuis tellement longtemps, ne disait-on pas que la banque serait la sidérurgie de demain il y a déjà … trente ans!– n’a rien d’inéluctable.
Mais alors que manque-t-il exactement aux banques françaises? Des compétences, liées aux nouveaux métiers? Les établissements financiers se soucient particulièrement aujourd’hui de recruter certains talents, en caressant le rêve de parvenir, grâce à l’IA, à atteindre un niveau de personnalisation de leurs relations clients qui leur permettra de tenir tête à leurs nouveaux concurrents.
Toutefois, si l’on suit les remarques ci-dessus, l’enjeu n’est pas seulement technologique et ne s’évalue pas en termes de compétences. Il concerne avant tout une transformation guidée par la mise en avant de valeurs clarifiant et redéfinissant le rôle et les responsabilités des banques vis-à-vis de leurs clients. Cependant, alors que de telles valeurs de protection, de bienveillance et de bien-être financier sont aujourd’hui explorées par les établissements de nombreux pays, ces thèmes restent largement ignorés par les banques françaises. Lesquelles manquent peut-être surtout de visionnaires!