Une "éco-anxiété qui me rongeait": quand un commandant de bord d'Air France décide de démissionner

Si certains voyageurs affichent désormais leur refus de prendre l'avion pour des raisons écologistes, le même sentiment étreint désormais certains pilotes de ligne.
Sur LinkedIn, Anthony Viaux, pilote qui passé plus de 20 ans dans le secteur et qui était encore il y a peu commandant de bord chez Air France, explique qu'il a fait il y a "quelques jours", "la chose la plus dingue de ma vie": démissionner.
"J’avais déjà pris du recul depuis deux ans (de congé sabbatique), seule solution que j’avais trouvé pour faire le point et tenter d’alléger un peu le poids de l’éco-anxiété qui me rongeait", explique-t-il.
"Il y a évidemment des industries beaucoup plus polluantes que l’aviation (son impact est tout de même évalué à 5% du réchauffement planétaire). Autant il serait absurde d’accuser l’aéronautique de tous les maux, autant je pense qu’il ne faut pas non plus se voiler la face", souligne l'ancien pilote.
Pour lui, "certaines activités peuvent envisager de se décarboner rapidement. Or, je constate que l’industrie aéronautique, non. L’équation me paraît donc actuellement insoluble, sauf à réduire le nombre de vols, ce qui n’est pas du tout la voie vers laquelle nous nous dirigeons".
"Chaque vol se paie au prix fort"
Car si le secteur multiplie les pistes pour réduire son empreinte: renouvellement des flottes avec des avions plus sobres, utilisation croissante de carburants "propres", optimisation des trajectoires, voire avion à hydrogène..., l'essor du trafic mondial tout comme la difficulté à massifier ces solutions semblent ruiner ces efforts.
"Mais où s’est perdu le "monde d’après" COVID, censé être plus lucide et plus sobre?", s'interroge Anthony Viaux. "Car je me rends de plus en plus compte que l’urgence écologique, c’est maintenant!"
Et d'asséner, lucide: "de nos jours, chaque vol et sa magie se paient au prix fort, les réservoirs de mon Airbus n’étant pas remplis avec des mots ou du rêve, mais avec du pétrole, destiné à être brûlé".
"Aujourd’hui j’ai le cœur lourd. Seulement je ressens aujourd’hui le besoin impérieux de me réaligner avec ma boussole intérieure, qui m’indique que mes convictions ne sont plus en adéquation avec ce métier", explique celui qui entend voguer vers d'autres horizons comme la naturopathie.
"Certes, je suis conscient que ma démission ne sauvera pas la planète bien sûr, mais brûler des milliers de litres de kérosène à chaque fois que j’allais travailler, je n’y arrivais plus", conclut-il.
Le cœur lourd
L'an passé, c'est un pilote de la compagnie Swiss qui prenait la même décision.
"Je pars car j’ai pris conscience de l’ampleur de la catastrophe climatique et de l’effondrement du vivant. Alors que beaucoup croient en la possibilité d'éviter le naufrage par des ajustements superficiels, les faits scientifiques réclament des changements drastiques dans nos modes de vie. Ainsi, je ne souhaite plus être partie prenante d'une industrie contribuant de manière significative au problème", expliquait Yann Woodcock, pilote chez Swiss depuis 2011.
Sa proposition: "ne vaut-il pas mieux réellement voyager quatre fois dans sa vie plutôt que de se déplacer chaque année?", rejoignant celle "volontairement provocatrice" mais "lucide" de Jean-Marc Jancovici.
Quant aux solutions technologiques mises en avant par la filière pour réduire son empreinte, elles "ne seront pas prêtes à large échelle avant que l’on n’atteigne les points de non-retour en matière de réchauffement" et nécessitent "une quantité astronomique d’énergie pour leur production".