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Nouveaux appareils, carburants propres: l'horizon fragile de la décarbonation de l'aviation en 2050

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Les deux leviers pour faire baisser drastiquement l'empreinte carbone du secteur aérien sont difficiles à actionner et très coûteux.

Ce n'est pas encore une impasse mais ça y ressemble de plus en plus. Les difficultés de Boeing et d'Airbus à satisfaire la demande des compagnies aériennes en avions de dernière génération et les investissements nécessaires pour produire à grande échelle les carburants d'aviation durables (SAF) fragilisent l'objectif de neutralité carbone que s'est fixé le secteur aérien.

Aujourd'hui responsable de 2,5 à 3% des émissions mondiales de CO2, ce secteur doit être neutre en émission de CO2 (c'est à dire tomber à 0%) en 2050 ont décidé les 193 Etats de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), une agence de l'ONU.

Le renouvellement des flottes avec des appareils plus sobres (30% environ) en kérosène et donc moins émetteurs de gaz à effets de serre est le premier levier de la décarbonation mais il est plombé par les difficultés de production d'Airbus et Boeing.

Production d'avions neufs en berne

Les avions les plus récents comme les A320neo, Boeing 737 MAX, A330neo, A350 et B787 peinent à être livrés alors que les commandes s'accumulent. Du coup, "70% de la flotte mondiale en service est actuellement de générations précédentes, ça fait beaucoup d'avions à remplacer, sans même parler de la croissance", observait en début d'année Christian Scherer, directeur général d'Airbus Avions commerciaux.

La flotte mondiale doit doubler en 20 ans, selon les prévisions d'Airbus, qui table sur un besoin de 42.430 avions neufs d'ici à 2043, dont 18.460 pour remplacer des appareils en fin de vie.

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C'est déjà demain : À quoi ressemble l'avion du futur ? - 06/07
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L'avionneur européen cherche donc à augmenter sa cadence de production mais est freiné par les difficultés de ses fournisseurs. Alors qu'il avait réduit sa production à 40 A320 mensuels pendant la pandémie, et qu'il en a livré un peu moins de 44 par mois depuis le début de l'année, il compte passer à 75 en 2027, un objectif qui a été repoussé d'un an.

Empêtré dans ses problèmes de qualité et de production, Boeing a de son côté livré moins de 24 monocouloirs 737 MAX par mois depuis début 2024 mais n'a pas officiellement renoncé à son objectif de 50 appareils mensuels à l'horizon 2025-2026.

Une gageure alors que les contraintes d'approvisionnement continueront de peser "jusqu'en 2026 au moins", selon le cabinet Alix Partners.

"Il y a des tensions assez extrêmes sur la chaîne de fournisseurs", abonde Jérôme Bouchard, expert au cabinet Oliver Wyman cité par l'AFP, "la pénétration (des nouveaux avions) va forcément être différée": bien que plus polluants, des avions vont devoir rester plus longtemps en service.

Le renouvellement des flottes coûtera 3 milliards d'euros aux compagnies françaises en 2030

Il ne faut pas non plus oublier la question des coûts pour les compagnies, notamment françaises.

Lors d'un congrès en mai dernier, Pascal de Izaguirre, président de la FNAM, la Fédération nationale de l’aviation et de ses Métiers, rappelait que la modernisation de la flotte pour le pavillon français se chiffre à 1 milliard d'euros pour 2025 et pas moins de 3 milliards d'euros pour 2030 "alors que les compagnies subissent une nouvelle taxe chaque année".

"Le transport aérien français doit bénéficier d’un cadre fiscal stable sur la durée lui permettant de financer sa décarbonation tandis que la concurrence internationale ne peut rester plus longtemps l’impensé des politiques nationale et communautaire", souligne-t-il. 

Les carburants d'aviation durables constituent le second levier principal de la décarbonation, essentiellement pour les avions longs courriers qui sont les principaux émetteurs de gaz à effets de serre.

Mais il est également grippé, essentiellement en Europe. Produits à partir de biomasse (huiles usagées, résidus de bois, algues), les SAF sont utilisables directement dans les avions actuels.

Rappelons que Bruxelles impose aux compagnies aériennes différents paliers d'incorporation: 6% en 2030 et 20% en 2035, 70% en 2050.

SAF: pas de stratégie européenne

"Cet objectif des 20% est une marche très difficile à atteindre", confirme Frédérik Jobert, secrétaire général adjoint à la Planification écologique lors du congrès de la Fnam en mai dernier.

Ainsi, en Europe, les SAF sont encore trois à cinq fois plus chers que le kérosène. Surtout, il manque une stratégie européenne claire.

"Il est pour cela essentiel que les pouvoirs publics français décident d’une stratégie claire sur le sujet comme c’est le cas dans les grands pays aéronautiques que sont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou Singapour" souligne Pascal de Izaguirre.

Et de rappeler que le gouvernement français a débloqué une enveloppe de 200 millions d'euros en 2023, mais "depuis il ne s'est pas passé grand chose de concret".

Aux États-Unis justement, la filière est très subventionnée: la tonne y coûte 2.000 euros contre 4.500 à 5.000 euros en Europe. Cherchez l'erreur. "Il faut que les pouvoirs publics prennent l'initiative", poursuit celui qui est également patron de Corsair.

2.000 euros la tonne aux Etats-Unis, 4 à 5.000 en Europe

"Trouver des SAF abordables, c'est le vrai enjeu", tonne Anne Rigail, directrice générale d’Air France.

"Nous avons déjà investi 500 millions d'euros pour sécuriser nos approvisionnements jusqu'en 2030."

La production de ces SAF doit tripler en 2024 pour atteindre 1,5 million de tonnes, soit 0,5% des besoins de l'aviation en carburant, selon l'Association internationale du transport aérien (Iata).

Par ailleurs, la biomasse n'est pas infinie et ne permettra de couvrir les besoins que jusqu'en 2030, selon les énergéticiens.

Il faudra donc passer aux carburants de synthèse (e-fuels), dont la technologie n'est pas encore à maturité. Ils sont fabriqués en combinant de l'hydrogène décarboné et du CO2 capté dans l'air ou dans les fumées industrielles.

Cela suppose des quantités phénoménales d'électricité. Au niveau de l'UE, l'AAE estime le besoin à 650 TWh/an, "nettement plus que la consommation électrique actuelle totale de grands pays comme l'Allemagne ou la France".

"Cela repose sur sur des technologies encore peu développées et onéreuses et exigent des besoins en ressources significatifs", explique Frédérik Jobert, secrétaire général adjoint à la Planification écologique. Il évalue à 500 millions à 1 milliard d'euros par an le besoin de financement pour la filière française.

D'autres pistes hasardeuses

Outre ces leviers, le secteur mise sur l'électricité et l'hydrogène. Les avions à batteries commencent certes à se développer mais ils concernent avant-tout des petits appareils pour des liaisons régionales. Quant à l'avion à hydrogène, personne n'y croit vraiment, à part peut-être Airbus. Pour certains, il faudra donc en passer par une baisse de l'offre.

"Il faut qu'on travaille sur la maîtrise de la demande avec des prix minimums dans le low cost, avec des taxes sur le kérosène ou sur les vols internationaux", préconise Frédérik Jobert.

Mais pour le moment, la tendance est parfaitement inverse. "Il faut bien voir la masse de gens qui commencent à prendre l'avion, comme en Chine et en Inde", prévient Anne Rigail d'Air France.

Huit milliards de passagers sont attendus en 2040 contre 4,5 en 2019. On est donc très loin d'une inversion de tendance.

Olivier Chicheportiche avec AFP