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Aéroports, ports... La Corse toujours paralysée par un mouvement social spontané

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Depuis ce jeudi, une divergence d'appréciation entre la Collectivité de Corse et l'État sur la gestion des ports et aéroports de l'île a suscité la colère de l'homme fort de l'île, Gilles Simeoni, entraînant leur blocage par un mouvement social spontané.

Une paralysie quasi-totale. Depuis ce jeudi après-midi, quatre aéroports (Ajaccio, Bastia, Calvi et Figari) et six ports corses sont bloqués par un mouvement social spontané.

Des centaines de voyageurs qui devaient prendre un avion ou un bateau sont restés bloqués sur l'île. Ce vendredi matin, la situation semble toujours très compliquée.

"Tous les ports et aéroports de Haute-Corse sont toujours bloqués ce matin", a indiqué à l'AFP la préfecture de Haute-Corse vendredi matin.

Néanmoins, "la continuité territoriale est assurée pour les 3 vols de l’aéroport de Bastia-Poretta et les 2 vols de Calvi-Balagne. Les ports de Bastia et Île-Rousse sont toujours bloqués par les mouvements syndicaux", écrit la Préfecture de Corse dans un communiqué ce vendredi matin.

Ces vols sont utilisés par des patients corses pour aller se faire soigner sur le continent. C'est la raison pour laquelle ils ont pu décoller, a précisé à une journaliste de l'AFP une source aéroportuaire, expliquant qu'un tel blocage était inédit depuis 19 ans.

Aucun autre avion n'a pas pu décoller. Ce vendredi matin, Air Corsica a annoncé l'annulation de 14 vols.

Les six ports de l'île étaient toujours bloqués vendredi à la mi-journée, selon les deux préfectures de Corse. Selon la préfecture maritime de Méditerranée, cinq navires de passagers patientaient en mer à proximité des ports d'Ajaccio et Bastia, faute de pouvoir accoster, avec environ 2.100 personnes à bord au total.

Le ministre délégué aux Transports, François Durovray, a dit vendredi sur FranceInfo faire "de la reprise du trafic un préalable", assurant avoir "demandé au préfet de Corse de rétablir le dialogue avec la collectivité locale".

Quatre aéroports et six ports bloqués

Pour "prendre en charge les voyageurs sans solutions", la préfecture de Haute-Corse a notamment mis à disposition des passagers bloqués à l'aéroport de Bastia un gymnase jeudi soir. 130 personnes y ont passé la nuit.

Dans les ports,une partie des passagers ont dormi dans le terminal, d'autres voyageurs sont restés dans leur voiture.

"D'après ce que j'ai compris, la situation est compliquée, voire un peu exceptionnelle. Je n'en veux pas aux gens qui font grève. Et pas mal d'autres gens sont comme moi. Mais ce qui a vraiment énervé, c'est qu'il n'y ait pas eu de préavis de grève. On s'est retrouvés devant le fait accompli, sans avoir la moindre chance de prendre nos dispositions... On a été pris en otages pour une cause qui ne nous concerne pas", raconte un touriste qui a passé la nuit dans ce gymnase.

Comme le rappelle Anaïs Escudié de Retardvol.fr, "les passagers (aériens) bloqués ne peuvent prétendre à une indemnisation mais ils peuvent demander la prise en charge des frais engagés (nuit d'hôtel, nourriture...) et le remboursement de leur billet ou le réacheminement".

Pour les ferries, en cas d’annulation ou de retard de 90 min au départ, vous avez le choix entre: un réacheminement vers votre destination finale sans frais supplémentaire, dans des conditions comparables et dans les meilleurs délais ; et le remboursement du billet (et s’il y a lieu, un retour gratuit vers le point de départ initial).

En cas de retard à l'arrivée, vous avez droit une indemnisation qui va de 25 à 50% du prix du billet (selon le retard) sauf en cas de circonstances extraordinaires (grève du personnel portuaire, fermeture du port...).

Que s'est-il passé? Une divergence d'appréciation entre la Collectivité de Corse et l'Etat sur la gestion des ports et aéroports de Corse a en effet suscité la colère de l'homme fort de l'île, Gilles Simeoni, entraînant leur blocage.

Jeudi matin, Alexandre Patrou, secrétaire général aux affaires corses (Sgac) qui représentait le préfet de Corse lors de l'assemblée générale extraordinaire de la chambre de commerce et d'industrie de Corse (CCI), s'est exprimé sur le projet de créer deux syndicats mixtes ouverts (SMO) portuaire et aéroportuaire d'ici la fin de l'année.

Ces SMO devraient, selon les statuts présentés jeudi matin, accorder des concessions à la CCI insulaire afin qu'elle puisse continuer de gérer les ports et aéroports de l'île à partir du 1er janvier 2025.

Rappelons qu'en avril dernier, le préfet de Corse avait dénoncé de nombreux dysfonctionnements à l’aéroport d’Ajaccio, notamment des défaillances répétées dans le filtrage des bagages et passagers.

Mais pour Alexandre Patrou ce montage présenterait "un risque juridique important", ce qui a suscité l'ire du président autonomiste du conseil exécutif de l'île, Gilles Simeoni.

Déclaration de guerre

"C'est une déclaration de guerre et je vous le redis, pour moi ce n'est pas négociable, il n'y aura pas de groupes internationaux qui gèreront les ports et les aéroports de Corse", s'est emporté Gilles Simeoni, en dénonçant "la décision que vient d'annoncer aujourd'hui l'État, en catimini, sans nous prévenir et en reniant son engagement et sa parole".

En réaction, le préfet de Corse, Amaury de Saint-Quentin, a indiqué à l'AFP que l'État n'avait "aucune opposition" à la gestion des ports et aéroports corses par des SMO, mais que cette gestion devait avoir lieu en "régie directe" pour éviter "le risque juridique" d'une gestion en "subdélégation à la Chambre de commerce".

Il n'y a "aucune velléité de la part de l'État" de confier à des groupes privés la gestion des ports et aéroports insulaires, a-t-il insisté.

Conflit financier derrière le conflit technique

Mais, sans attendre ces clarifications, les syndicats de la CCI, emmenés par le syndicat des travailleurs corses (STC), ont aussitôt lancé un mouvement de grève spontané qui a entraîné jeudi après-midi le blocage des quatre aéroports et six ports de l'île et de centaines de voyageurs.

Appelant à soutenir la grève, un collectif de la jeunesse nationaliste "union de la jeunesse en lutte" a affirmé dans un communiqué jeudi soir: "l'Etat français ne doit en aucun cas laisser la Corse aux groupes internationaux, pouvant être une pierre à l'extinction de notre pays".

Mais derrière ce conflit d'apparence technique entre l'État et la collectivité de Corse figure une autre difficulté financière: Gilles Simeoni réclame en effet 50 millions d'euros supplémentaires à l'État pour compenser l'inflation non prise en compte dans la somme allouée par l'État pour assurer la continuité territoriale entre l'île et le continent.

Une demande qui tarde à donner lieu à une réponse du nouveau gouvernement, déjà aux prises avec la situation financière dégradée au niveau national.

"La réindexation n'est pas donnée et elle est due, ce n'est pas quémander que de le rappeler", a déclaré vendredi Gilles Simeoni à l'Assemblée de Corse. "Si cette dotation n'intervient pas, nous serons dans l'impossibilité de maintenir l'exécution des contrats de délégation de service public dans les domaines maritime et aérien", avait mis en garde Gilles Simeoni fin septembre.

Cela voudrait dire "des centaines d'emplois directs menacés" chez Air Corsica, Air France, Corsica Linea, La Méridionale et "des milliers d'emplois indirects, des risques de blocage de ports, d'aéroports", avait-il ajouté.

Olivier Chicheportiche avec AFP