"Qui veut être mon associé?": plus de la moitié des deals noués en plateau ne se concrétisent pas

Une nouvelle saison bouclée pour les investisseurs de Qui veut être mon associé?. La promesse de l’émission de divertissement de M6, dont la saison 5 s'est achevée mercredi 19 mars, est de "donner la possibilité à des entrepreneurs de gagner conseils et financements, auprès d’investisseurs renommés". Ils viennent en plateau présenter leur concept et font une proposition d'investissement aux "coachs" qui choisissent ensuite d'investir (ou non).
Pourtant dans les faits, selon un décompte effectué par BFM Business auprès de 26 des 35 start-up ayant obtenu une promesse d’investissement l’an passé, seul environ un tiers ont bénéficié d’un accompagnement financier par un des membres du jury. M6 estime, elle, le taux moyen de conversion des deals plutôt autour de 50% chaque année.
L’an dernier, une soixantaine de start-up sélectionnées par la société de production Satisfy (dirigée par l’animateur Arthur), se sont présentées devant le jury de l’émission. Un jury notamment composé de l’ancien basketteur Tony Parker, du créateur de Meetic Marc Simoncini, d'Anthony Bourbon, connu pour sa plateforme d’investissement Blast, ou encore d'Éric Larchevêque, le fondateur de Ledger (un portefeuille pour crypto-monnaies).
À eux tous, lors de cette saison 4, les membres du jury avaient promis d’engager près de 8 millions d’euros. On est loin du compte aujourd’hui.
Le bilan contrasté de Tony Parker
Si Tony Parker s’est par exemple positionné en plateau pour une dizaine d’engagements, un an plus tard six start-up affirment à BFM Business n’avoir rien signé avec l’ancien basketteur. Certaines n’ont même jamais été en contact avec lui, seulement avec "son armée d’avocats". L’un des participants, en relation de travail avec Tony Parker, confirme:
"Pour lui, cette émission est là pour soigner son image, on ne lui a jamais parlé directement."
Un regret pour un ex-candidat qui attendait avant tout de lui une inspiration et des conseils. En revanche, pour ceux qui ont pu communiquer avec l’ancien basketteur, les témoignages sont plus positifs: "Tony, c’est un homme bienveillant mais qui cherche avant tout à soigner son image". Interrogé par BFM Business, Tony Parker n’a pas répondu à nos sollicitations.
Sur la saison 4, BFM Business comptabilise un taux de conversion d’au moins 50% pour Marc Simoncini et Kelly Massol. Jean-Pierre Nadir reconnait, lui, avoir réalisé 50% de ses engagements au global, lors des saisons 2, 3 et 4 de Qui veut être mon associé?. Éric Larchevêque quant à lui, a concrétisé 70% de ses promesses, soit "un taux de réussite particulièrement élevé dans l’univers des levées de fonds" se félicite-t-il. Interrogé par BFM Business, il ajoute:
"Je ne pense pas qu’un entrepreneur puisse douter de ma sincérité dans le programme et de mon engagement hors programme."
"Comme dans la 'vraie vie', certains deals se font, d’autres non"
Stéphanie Delestre, autre membre du jury, n’a conclu qu’un tiers de ses promesses faites en plateau sur la saison 4. Un participant dit s’être senti lâché par l’investisseuse, raison pour laquelle il a mis lui-même un terme au deal: "Elle nous a dit 'oui' en plateau et puis plus aucune nouvelle", confie-t-il à BFM Business.
"Et puis en insistant on a fini par avoir une discussion avec son avocat et il nous a expliqué que son but était de nous vendre. Donc évidemment on a mis fin aux négociations."
Selon M6, "il y a à la fois les investisseurs qui se voient obliger de casser le deal à la suite d’une étude approfondie des dossiers mais aussi les candidats, qui ne souhaitent pas poursuivre pour des raisons qui leurs sont propres".
Selon Anthony Bourbon, c’est normal que l’investisseur ait toutes les cartes en main: "Comme dans la 'vraie vie', certains deals se font, d’autres non. Aucun rapport avec la sincérité".
"J’imagine que si c’était votre argent, vous ne le donneriez pas non plus sans rien vérifier?"
Lors de la saison 4, Anthony Bourbon a ainsi décliné plus d’un tiers des deals sur lesquels il s’était engagé devant les caméras. Mais selon l’homme d’affaires, interrogé par BFM Business, "les investisseurs ne font pas un chèque en blanc sur le plateau, ils s’engagent à poursuivre les discussions en fixant une base de négociation pour la suite". Les start-up se présentent sous "leur meilleur angle", dit-il, et "quand on ouvre le capot, hors caméra, on découvre la réalité".
Pour le créateur de la plateforme Blast, tous les participants ne sont pas à la recherche de financement.
"Certains entrepreneurs participent en sachant à l’avance qu’ils ne feront pas le deal en réalité, même s’ils l’acceptent en plateau."
Sur les 26 start-up interrogées par BFM Business, aucune n’a admis avoir participé en sachant qu’elle n’irait pas au bout du processus avec l’investisseur. Selon une entrepreneuse, "au moment du 'oui' des jurés, on voit les larmes couler en plateau, c’est tellement fort… Tu y crois et tu les veux vraiment ces investissements".
Un engagement en plateau ne vaut pas deal
Il faut dire que les candidats sont pour beaucoup novices dans l’entrepreneuriat et ne connaissent pas le processus classique d’une levée de fonds. Ce qui est dommageable, selon une jeune cheffe d’entreprise, "c’est que tout le monde pense que l’histoire se termine en plateau lors de la poignée de main avec le jury, alors qu’elle ne fait que commencer". Un candidat abonde:
"Je pensais, que si le jury disait ’oui’ en plateau, alors on obtenait les financements dans 90% des cas."
Pourtant les investissements ne sont pas automatiques. Après le tournage, une longue période de négociation s’ouvre entre la start-up et le membre du jury. Cette phase, appelée "due diligence", consiste à éplucher les comptes des participants. M6 détaille qu’il y a, à la suite de ce processus, trois possibilités: soit l’accord est trouvé, soit il est renégocié, soit les discussions s’arrêtent.
Une confusion qui se poursuit même après le passage du candidat dans l’émission. "Quand je croise des gens pour le business, ils me demandent: ‘alors c’est comment de travailler avec Jean-Pierre Nadir?’. Alors que nous ne nous sommes jamais associés", raconte l'un d'entre eux.
Des start-up en échec
Cet audit de contrôle obligatoire est mené hors antenne par les membres du jury et dure plusieurs mois. Toutefois, selon plusieurs sources, sa vitesse varie, en fonction de la volonté du futur associé.
"S’il [l’investisseur] est vraiment motivé, en deux mois c’est bouclé, sinon il laisse traîner jusqu’à ce que la start-up se décourage ou qu’elle n’ait plus besoin des fonds."
Et le manque de clarté sur l’après-tournage peut parfois entraîner les start-up dans des situations de crise. C’est ce qui est arrivé à ADN Skis, devenue ADN Group, qui a reproché à Marc Simoncini et Tony Parker leur manque de réactivité. Sa fondatrice Camille-Cécile Lambert l’a dénoncé début février, dans un post sur Linkedin: "Vous étiez au courant depuis des mois de notre besoin urgent de fonds. […] Notre situation financière actuelle est le résultat direct de votre manque de réactivité. Nous avions anticipé ce besoin depuis longtemps, retardant d'autres opportunités en attendant votre décision".
L’émission est une "belle vitrine"
Toutefois, ces déceptions sont souvent compensées par la visibilité gagnée au moment de la diffusion. Les start-up bénéficient de 20 minutes d’antenne sur M6, de surcroît en prime time. L’émission rassemble jusqu’à 11% de part d’audience à chaque épisode. Le diffuseur a conscience de la "belle vitrine" qu’il met à disposition des entrepreneurs. Raison pour laquelle, ils sont préparés. La production met à disposition des coachs pour que chaque participant puisse répéter son pitch avant le tournage: d’abord en visio-conférence puis en plateau.
"La production nous informe du raz de marée de visibilité, que l’on va avoir au moment de la diffusion, explique une cheffe d’entreprise. Ce sont plusieurs milliers de messages, de visites sur les sites internet et des centaines de ventes."
Un "coup de pub" qui compense, pour certains, l’échec des process d’investissement. "On gagne en crédibilité auprès des banques et auprès des clients, simplement parce que Tony Parker ou Marc Simoncini valident le modèle de notre business", explique un participant.
Que ce soit de la visibilité ou de la crédibilité, les start-up voient un réel avant-après diffusion sur M6. Yacon & Co (alternative au sucre) a par exemple réalisé, le soir de la diffusion, quasiment le même chiffre d’affaires qu’en une année.
"On a quintuplé nos ventes grâce à notre participation dans le programme", raconte sa fondatrice Raphaëlla Nolleau.
Même son de cloche pour Coline Vuillermet qui présentait sa plateforme en ligne de résolution de litiges Néo-Justice: Qui veut être mon associé? est la chance professionnelle de ma vie. Je suis infiniment reconnaissante de tout ce que cette émission m’a apportée".
Qui veut être mon associé, un risque de publicité clandestine?
Certains participants, interrogés par BFM Business, vont même jusqu’à comparer le passage dans l’émission à une forme de publicité: "Le concept de l’émission, c’est comme une publicité ou un placement de produit dans un film. Quand un acteur porte des chaussures de marque on veut les mêmes seulement parce qu’on l’a vu les porter". Toutefois, selon un expert juridique, le placement de produit est un dispositif très encadré et qui comporte de nombreuses conditions, qui a priori ne s’appliquent pas dans ce programme.
Reste la question de la publicité clandestine, que l’Arcom définit par un faisceau d’indices présentés dans l’article 9 du décret du 27 mars 1992. La chaîne M6 est visiblement respectueuse des limites fixées par le législateur. Elle prend garde à limiter la valorisation des marques présentées en plateau. Par ailleurs, la chaîne M6 ne s’est jamais vu reprocher un manquement par le gendarme de l’audiovisuel et n’a jamais été sanctionnée sur cette émission, après la diffusion de cinq saisons.
Interrogée par BFM Business, l’Arcom indique n’avoir pas à ce jour, reçu de saisine concernant cette émission et n’a pas été amenée à l’instruire; et ne peut en l’état se prononcer sur le sujet.