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Pourquoi Peloton, la star du sport connecté, est en grande difficulté

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La firme, qui vend des vélos d'appartement dernier cri, va réduire la voilure. Entre affaires personnelles et déboires financiers, elle n'a pas su profiter de l'essor pris pendant le confinement.

Peloton doit négocier un virage serré. Son fondateur, et CEO depuis 2012, John Foley a été mis ce mardi en retrait de ses fonctions opérationnelles : il n'occupera plus que le poste de président du conseil d'administration.

Dans le même temps, Peloton, avant de publier ses résultats pour le deuxième trimestre de l'année fiscale, a choisi d'annoncer un plan de réduction des coûts, avec près de 2800 jobs supprimés - soit 20% des effectifs. 150 millions de dollars seront économisés cette année, avec pour objectif d'atteindre sur plusieurs exercices les 800 millions d'économies. Son projet de megafactory basée dans l'Ohio, baptisé Peloton Output Park, est revu à la baisse. Et le réseau logistique, des entrêpôts de stockage aux systèmes de livraison, sera en partie externalisé.

"Ce programme de restructuration est le résultat d'une planification conscienscieuse, qui nous permettra de nous concentrer sur le coeur de nos marchés d'activité et de réaligner nos opérations", explique Peloton.

Signe des temps, en lieu et place de son fondateur, la firme a nommé un financier de formation, Barry McCarthy, qui a tenu les comptes de Netflix et de Spotify pendant une quinzaine d'années. Il devra rattraper une situation qui s'est lentement dégradée, en dépit d'un boom dans le sport à domicile dû aux confinements.

Une direction décriée

Ces dernières semaines, c'est d'abord la direction elle-même qui a fait l'objet d'attaques: John Foley a été pris à parti par une partie de son actionnariat, et notamment par le fonds activiste Blackwells Capital, cinglant dans une lettre adressée au conseil d'administration fin janvier :

"Nous pensons qu'aucun board raisonnable ne pourrait laisser M. Foley à la tête de Peloton. L'entreprise est devenue trop importante, trop complexe et trop fragile pour qu'il la dirige encore".

L'ancien directeur du numérique pour le géant de la librairie Barnes & Noble, qui s'était lancé dans l'entrepreneuriat avec Proust.com (un réseau social collectant les souvenirs de ses utilisateurs), avait fait de Peloton l'un des leaders sur le marché du sport à la maison, avec ses vélos dernier cri et ses cours en ligne ultra-personnalisés.

Mais il est aujourd'hui accusé de ne plus pouvoir suivre les évolutions du marché, très rapides, et de mal gérer les finances de la compagnie, en n'anticipant pas ses besoins en trésorerie (l'auditeur des comptes de Peloton lui a notamment adressé un avertissement à ce propos). Plus trivialement, on lui reproche aussi d'avoir embauché sa compagne dans l'équipe exécutive et d'avoir acquis des locaux à New York par simple commodité, pour se rapprocher de son domicile personnel chiffré à 55 millions de dollars.

Une mauvaise gestion du confinement

Sur le plan financier, John Foley a aussi réussi à empocher plusieurs dizaines de millions de dollars, estime Blackwell, alors que les actionnaires y ont globalement beaucoup perdu ces derniers mois.

Lancée en bourse en 2019, Peloton a vu son titre stagner jusqu'à la mi-mars 2020 : des boursicoteurs flairent le filon au moment du premier confinement américain et européen, et propulsent le titre à la hausse. Chiffré à 19 dollars au départ, il atteint 162 dollars le jour de Noël 2020, son plus haut historique. L'entreprise est valorisée à plus de 50 milliards de dollars.

C'est à ce moment que Peloton décide d'augmenter drastiquement sa production et d'investir massivement, assuré de pouvoir profiter d'une demande importante sur plusieurs années. Mais la réouverture des salles de sport et l'assouplissement des mesures sanitaires rompent plus vite que prévu la dynamique commerciale, comme le reconnait John Foley dans un courrier adressé à ses employés en janvier :

"Nous nous sommes trouvés avec la situation liés à la pandémie de covid-19 dans une situation exceptionnelle, et ce que nous avions anticipé comme la tendance pour les trois années suivantes s'est en réalité produit dès 2020 et 2021".

Résultat, Peloton doit composer avec des stocks importants d'invendus pour les deux derniers trimestres de l'année fiscale, au début d'une année 2021 extrêmement compliquée sur le plan commercial. Début 2022, le cours de bourse a retrouvé son niveau pré-pandémie.

Un positionnement marketing inefficace

Mais dans un temps plus long, il y a d'autres raisons aux difficultés aujourd'hui rencontrées par la firme : lancée en 2012, elle a misé sur des appareils elliptiques dotés d'écrans, et retranscrivant des cours en ligne. Un segment particulièrement élitiste, avec des vélos dont le prix de base tourne autour des 1500 dollars.

La marque est devenu un marqueur social fort, avec son lot de polémiques liées à des campagnes de publicité mal reçues par le public américain. La complexité des appareils l'a aussi poussé plusieurs fois à ajuster ses prix à la hausse - augmentant récemment ses tarifs de 250 dollars pour répondre à l'inflation et aux difficultés logistiques.

La nécessité d'avoir un abonnement coûteux (40 dollars par mois) pour avoir accès à des cours a définitivement restreint son marché. Le nouveau CEO, Barry McCarthy, est d'ailleurs un spécialiste des modèles par abonnements, et il aura la charge de travailler sur ce problème. D'autant que la diversifiction entamée par Peloton, dans le yoga et la musculation, n'a pas encore porté ses fruits - le cyclisme représentant encore 60% de son chiffre d'affaires en 2021.

Valentin Grille