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Pourquoi EY n’ira finalement pas jusqu’à la scission

Les bureaux de EY à Londres, le 20 novembre 2020

Les bureaux de EY à Londres, le 20 novembre 2020 - TOLGA AKMEN / AFP

EY a annoncé stopper son projet de scinder ses activités de conseil et d’audit. Le grand cabinet britannique avait engagé, en septembre, ce qui s’annonçait comme la plus grande révolution dans le secteur depuis l’affaire Enron et la disparition d’Arthur Andersen il y a plus vingt ans. Mais l’environnement financier a eu, pour le moment, raison du projet.

Chez EY France, tout se préparait déjà depuis plusieurs mois. Les équipes se mettaient en place et ciblaient même de potentielles recrues parmi les avocats et consultants de la place, non sans une offre financière intéressante. Mais la montagne était trop haute à franchir et le projet Everest, celui qui consiste à séparer l’audit du conseil, avait pris progressivement du retard.

La complexité de la structure du réseau EY

EY est, dans chaque pays où il est présent une entité différente, avec ses règles, son capital et ses associés. Pour être mis en place, le projet nécessitait donc quasiment autant de votes qu’il n’a de représentations dans 150 pays.

Si certains pays -la France notamment- étaient parties prenantes du projet de scission, d’autres, à l’instar de la Chine, avaient fait savoir qu’ils n’avaient pas d’intérêt à découpler ces activités.

Mais c’est finalement la défection de la branche américaine, qui représente plus de 40% du chiffre d’affaires mondial, qui a stoppé net le projet, selon le communiqué diffusé par EY.

Un autre sujet de tensions est apparu sur la question du partage de l’activité de fiscalité. S’il s’agit en majorité de conseil, certaines missions d’audit nécessitent aussi l’intervention d’avocats fiscalistes, ce pourquoi la nouvelle entité d’audit demandaient qu’une partie de "la practice" les accompagne, sans que les protagonistes ne parviennent à un accord.

Le modèle multidisciplinaire reste le modèle dominant

Le rationnel avancé par EY pour justifier la scission n’a jamais été vraiment compris par les professionnels du secteur. Les grands concurrents –Deloitte, PwC, KPMG- se sont d’ailleurs empressés de défendre le modèle multidisciplinaire, regroupant consultants, avocats, commissaires aux comptes ou experts comptables. A la demande de leurs clients qui ont en face d’eux un"guichet unique", mais aussi des collaborateurs qui aiment la transversalité proposée par les Big Four. "Un cabinet ne proposant que de l’audit perdrait en qualité, car il perdrait ses talents", explique un expert.

EY voulait ainsi donner plus de liberté à son activité de conseil et l’affranchir de potentiels conflits d’intérêt entre les entreprises auditées et celles clientes du conseil. En réalité, les règles de fonctionnement diffèrent dans chaque pays. En France, quand une entreprise est auditée, les missions de conseil qui peuvent lui être proposées sont limitées. "Les conflits d’intérêts existent mais sont parfaitement connus et gérés au cas par cas, avance un dirigeant. Et le potentiel de croissance dans le conseil est tellement important qu’il reste beaucoup à y faire".

Un projet, surtout financier, qui tombe mal

Le projet consistait à la vente de l’activité audit à un consortium tandis que le conseil aurait dû continuer sous la marque EY et être introduit en bourse. Une opération avant tout financière, pour les associés, pour vendre leur part. "La valorisation qu’on leur a annoncée ne devait pas être à la hauteur de leurs espérances" dans une année compliquée.

La hausse des taux, l’inflation persistante et la récente crise bancaire participent à la tiédeur des investisseurs et les introductions en bourse sont peu nombreuses. C’est la fin du projet Everest, mais la scission n’est, elle, pas totalement enterrée. Une porte-parole d’EY a confirmé mercredi qu’à long terme, séparer audit et conseil faisait toujours partie de la feuille de route… En attendant de trouver un moment plus opportun.

Aude Kersulec