Réseaux numériques: les GAFAM sous pression pour payer les opérateurs télécoms

Apple, Google ou Netflix vont-ils devoir financer la rénovation et les investissements dans les réseaux numériques? C'est le souhait formulé de longue date par le secteur des télécommunications, dont le lobby européen, l'ETNO (European Telecommunications Network Operators' Association) vient de livrer un nouveau rapport.
Le texte souligne que le trafic généré par les GAFAM et Netflix seuls leur coûte entre 15 et 28 milliards d'euros par an en dépenses de maintenance et d'investissement des réseaux. Sur les dix dernières années, ils estiment avoir misé 500 milliards en tout sur ce segment.
Et, pour la première fois, les autorités européennes se sont clairement positionnées sur le sujet. La vice-présidente de la Commission Européenne Margrethe Vestager a appelé à étudier l'idée d'un financement du secteur du numérique.
Il y a une question que nous devons examiner avec beaucoup d'attention, celle de la contribution équitable aux réseaux de télécommunication. Nous constatons que certains acteurs génèrent un trafic important qui leur permet d'exercer leur activité, mais qu'ils ne contribuent pas réellement à l'élaboration de ce trafic. Ils n'ont pas contribué aux investissements pour le déploiement de la connectivité, et nous sommes en train d'étudier comment cela pourrait être rendu possible.
Déséquilibres financiers
A l'heure actuelle, six acteurs s'adjugent 57% du trafic internet mondial, souligne les chiffres du rapport de l'ETNO: Google (22%), Facebook (15,4%), Netflix (9,4%), Apple (4,2%), Amazon (3,7%), et Microsoft (3,3%).
En parallèle, les poches des GAFAM demeurent plus profondes que celles des entreprises télécoms: la valorisation boursière de ces six groupes se monte à 7110 milliards de dollars, contre "à peine" 240 milliards de dollars pour les huit principaux opérateurs de télécommunications.
Ces derniers réclament donc un appui de la part de Bruxelles, avec une préférence marquée pour deux mécanismes politiques: d'une part, ils veulent contraindre les géants du numérique dépassant un certain niveau de chiffre d'affaires, à négocier chaque année une contrepartie financière pour emprunter les réseaux; de l'autre, ils souhaitent la mise en place d'un mécanisme de résolution des différends au niveau européen, qui puisse servir d'arbitrage.
Ils rejettent en revanche l'idée d'une taxe à l'échelle européenne, trop complexe à appliquer, ou d'un fonds extérieur financé par les GAFAM: ils préfèrent des paiements directs ou des prises de participations de leur part dans des projets d'investissement.
Netflix déjà condamné
Les retombées économiques pourraient être importantes, soulignent les auteurs du rapport: 72 milliards par an selon eux si les six acteurs payaient 20 milliards par an aux télécoms, soit ce qu'ils leur coûtent.
Les liquidités pourraient en effet être fléchées vers le déploiement de la fibre optique et de la 5G, avec des retombées directes et indirectes sur l'emploi et l'activité. L'empreinte carbone - largement réduite avec ces technologies en comparaison de l'ADSL - serait aussi restreinte du fait de ces nouveaux investissements.
Les GAFAM n'ont pas commenté jusqu'ici les déclarations de Margrethe Vestager mais leur ligne de défense repose sur les efforts déjà consentis de leur côté pour optimiser les réseaux.
Netflix insiste ainsi sur son réseau Open Connect, lancé en 2011 et qui installe des serveurs permettant de stocker des informations localement: cela évite de déplacer des quantités importantes de données sur de longues distances, et de trop faire pression sur les réseaux.
Mais la plateforme de streaming a déjà perdu un procès sur le sujet: l'opérateur coréen SK Broaband l'a fait condamné en justice l'année passée. Il revendiquait une hausse du trafic après le succès planétaire de la série Squid Game, et la justice coréenne a accédé, dans un jugement préliminaire, à ses exigences, en incitant Netflix à verser une contrepartie.