Chauffage: les Français doivent-ils encore modérer leur consommation de gaz et d'électricité cet hiver?

A moins de deux mois du début de l'hiver météorologique, la nouvelle a interpellé. Vendredi dernier, La Tribune a révélé que l'exécutif planchait sur un projet de décret pour expérimenter cet hiver une "limitation temporaire" de la consommation d'électricité de 200.000 clients résidentiels dont la puissance disponible des compteurs Linky serait abaissée à 3kVA pendant quelques heures lors d'une journée avant le 31 mars. Comme dans le cas des coupures, un tel mécanisme ne serait "activé que si tous les autres leviers étaient insuffisants pour éviter une coupure d'électricité généralisée (black-out)", comme l'a souligné le ministère de la Transition énergétique.
Il s'agit ainsi d'un outil qui permettrait d'éviter des coupures programmées, les fameux délestages, en cas de tension extrême sur le réseau et ce projet d'expérimentation n'a "aucun lien avec la situation du système électrique pour cet hiver" selon le ministère: "Nous abordons l’hiver dans de bien meilleures conditions que l’hiver dernier", avec un "niveau de tension sur le système électrique (...) actuellement moindre que l'année dernière à la même période", grâce à une moindre consommation et à la remontée en puissance du parc nucléaire. Pour autant, le discours du gouvernement et des acteurs de l'énergie consiste bel et bien à encourager une baisse de la consommation ou en tout cas un maintien du niveau de sobriété atteint lors de l'hiver 2022-2023.
Les consignes de chauffage restent les mêmes
Jeudi dernier, le gouvernement a ainsi annoncé de nouvelles mesures pour ancrer la sobriété dans les habitudes, après les économies engagées l'an dernier en pleine envolée des prix. La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher n'a pas fixé de nouvel objectif chiffré de baisse pour cet hiver, lors d'un colloque à Paris, mais a souhaité que l'effort accompli depuis un an devienne "structurel" et "une habitude". Selon ses calculs, les consommations de gaz et d'électricité ont diminué de 12% entre le 1er août 2022 et le 31 juillet 2023 comparé à la même période de 2018-2019, avant le Covid.
Parmi les mesures non coercitives, les ménages seront incités à s'équiper de thermostats programmables, qui coûtent "entre 650 et 1.000 euros l'unité", selon Agnès Pannier-Runacher. Ce matériel, dont environ 27 millions de foyers restent à équiper, réduit la consommation de 15%. L'achat et l'installation seront aidés jusqu'à 80%. "J'ai demandé aux enseignes de bricolage de faire des offres clé en main pour les ménages", a annoncé la ministre. Le chauffage est en effet le principal poste de consommation d'énergie pendant les périodes hivernales et un thermostat aide à réduire celle-ci afin de passer les périodes de pointe électriques.
Selon RTE, la part des Français déclarant se chauffer à 19°C ou moins, a grimpé à 50%, mais beaucoup méconnaissent encore la température de leur logement. "19°C c'est bien" et "pas plus de 17°C dans la chambre" pour s'endormir, a détaillé lors du colloque le médecin et animateur TV Michel Cymes. Quelques heures plus tôt sur le plateau de Télématin, la ministre de la Transition énergétique avait déjà rappelé que la "règle" des 19 degrés continuait de s'appliquer, la température devant même descendre à 16 degrés pour les pièces inoccupées.
De leur côté, les fournisseurs d'énergie vont proposer des outils de pilotage de la consommation et de nouvelles offres de réduction tarifaires, à condition que les clients réduisent leur consommation lors des pics de tension sur le réseau, quelques jours par an. Plusieurs d'entre eux (EDF, Engie, TotalEnergies, EniGas Alpic, ES Energie Strasbourg et GEG) annoncent des cadeaux ou des bonus sur la facture pour encourager les gestes de sobriété.
Réitérer la baisse de consommation de l'hiver dernier semble difficile
Gestionnaire du réseau français de gaz, GRTgaz chiffre la baisse de la distribution publique de gaz, hors industries et centrales à gaz, à -9,5% entre le 1er août 2022 et le 31 juillet 2023 en données corrigées du climat, par rapport à la même période 2018-2019. Sur la même période, RTE, qui pilote les besoins français en électrification, estime la baisse de consommation à -7,4%, par rapport à 2014-2019. Mais enregistrer une nouvelle baisse significative lors de l'hiver 2023-2024 semble toutefois difficile faute d'importants investissements ou changements d'habitudes. L'hiver dernier, le risque de coupures de courant lié à une production nucléaire insuffisante d'EDF avait été une incitation supplémentaire à la discipline.
"Je ne suis pas certain qu'on soit capable de franchir dans deux mois une marche supplémentaire", estime Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz [...] L'hypothèse est plutôt le maintien du niveau de consommation observé l'année dernière."
Il ne s'attend pas non plus à un relâchement car "les gens ont tous été très sensibilisés aux prix du gaz et de l'électricité et ont tendance à considérer qu'il faut faire attention". Mais si les investissements n'ont pas été engagés à la belle saison, "il n'y a pas de raison que l'hiver soit différent" selon le patron de GRTgaz. Dans le logement, il n'est jamais trop tard à l'hiver, mais la rénovation énergétique est victime de l'envolée de ses coûts et d'un reste à charge trop élevé pour les ménages. Le marché des chaudières, des radiateurs et même des pompes à chaleur enregistre "un coup de frein" depuis janvier, constate le syndicat des industries thermiques Uniclima.
"Les actions de sobriété semblent s'être poursuivies au printemps et à l'été", assure RTE qui croit qu'elles seront "amplifiables, y compris dès cet hiver". En juin, RTE avait calculé que le thermostat avait baissé l'hiver dernier de 0,6°C, au travers d'une enquête inédite auprès de milliers de répondants.
Les incertitudes demeurent sur l'approvisionnement en gaz
Si le chauffage résidentiel à l'électricité gagne du terrain, celui au gaz reste un peu plus répandu dans l'Hexagone. Or, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a récemment mis en garde contre de possibles tensions en Europe sur le marché du gaz, notamment en cas d'hiver froid et de nouvelles restrictions des acheminements de gaz russe dans les gazoducs. "Malgré le rééquilibrage progressif des marchés du gaz, les risques et les incertitudes pèsent sur les perspectives pour l'hiver 2023-24", souligne l'AIE dans un rapport sur les perspectives du marché à 2026.
Les stockages de gaz de l'Union européenne ont beau être quasi-remplis à 96% à l'entrée dans la saison de chauffage, y compris en France où ils le sont à 95%, l'AIE se montre prudente sur la sécurité d'approvisionnement, au coeur de grandes craintes de pénurie en 2022 après l'invasion de l'Ukraine. "Un hiver froid associé à une moindre disponibilité de gaz liquéfié (GNL, nlr)" acheminé par navires "et à une nouvelle baisse des livraisons de gaz russe par canalisation pourrait raviver les tensions sur le marché, en particulier vers la fin de l'hiver 2023-24", explique l'agence de l'OCDE basée à Paris.
Depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022, Moscou a fortement réduit ses acheminements par gazoduc vers l'UE, poussant les Etats à réorganiser en urgence leurs approvisionnements. Ils ont ainsi gonflé de 70% l'année dernière leurs achats de GNL, venu à plus de 40% des États-Unis mais aussi de Russie (17% des achats européens de janvier à juillet 2023). "Nous sommes en meilleure position" cette année, mais l'Europe est confrontée "à au moins deux défis majeurs", assurait le 18 septembre à Paris le chef de l'AIE, Fatih Birol. "Premièrement, si l'hiver est beaucoup plus rude que l'année dernière (...). Deuxièmement, l'Europe reçoit encore du gaz de Russie, et il peut être coupé d'un jour à l'autre", soulignait-il. Quelques pays d'Europe de l'Est continuent de recevoir un peu de gaz russe via l'Ukraine.