Une alliance italo-allemande anti-Scaf derrière le veto sur la reprise de Microtecnica par Safran?

L'acquisition par le Français Safran de Microtecnica, l'activité "commandes de vol" située en Italie de l'Américain Collins Aerospace, porte-t-elle atteinte à la sécurité nationale transalpine? C'est l'argument avancé par le gouvernement de Gorgia Meloni qui a publié un décret pour s'opposer à ce projet. Chez Safran, cette décision est "incompréhensible et ne répond à aucune logique".
"Nous avons été stupéfaits. Nous avons lu avec attention le décret signé par la Première ministre. Cette acquisition représenterait 'une menace exceptionnelle pour la sécurité nationale italienne'", s'étonne Olivier Andriès, PDG de Safran, en précisant à BFM Business qu'un accord avait été trouvé avec Collins Aerospace.
Le Français proposait 1,8 milliard d'euros pour cette acquisition stratégique sur laquelle les actifs italiens ne représentent que 15% de la transaction globale.
Une concertation entre Rome et Berlin
Le gouvernement italien craint que Safran ne livre pas les pièces de rechange de l'Eurofighter aux armées allemande et italienne. Cet avion de combat né d'une collaboration entre l'Allemagne, le Royaume Uni et l'Italie est le concurrent du Rafale, dont le moteur est fourni par Safran.
"C'est un procès d'intention", répond Olivier Andriès.
Cette explication est d'autant plus incompréhensible que l'équipementier français fournit déjà le train d'atterrissage de l'Eurofighter. "C'est assez ironique", regrette Olivier Andriès.
"L'essence même du métier d'équipementier est de fournir tous les acteurs d'une industrie. Dans le civil, nous fournissons aussi bien Boeing qu'Airbus", rappelle le dirigeant.
D'autres arguments, plus plausibles, pourraient expliquer le blocage italien. Les Américains pourraient par exemple ne pas apprécier qu'un Français devienne l'un des fournisseurs du F-35 via Microtecnica qui fournit à Lockheed Martin les commandes de vol du F-35, qui concurrence à la fois l'Eurofighter et le Rafale. Washington est-il intervenu dans ce dossier?
"Je ne crois pas à cela. À aucun moment je n'ai senti la main américaine dans le veto italien", nous a répondu le patron de Safran.
Une autre possibilité pourrait se situer du côté de l'Allemagne. Olivier Andriès dit d'ailleurs avoir constaté à la lecture du décret "une concertation entre Rome et Berlin".
Les commandes de vol d'un avion du futur
Cette obstruction ne serait pas seulement liée à l'Eurofighter. Elle pourrait aussi porter sur les deux programmes européens d'avions du futur, le Scaf -mené par la France, l'Allemagne et l'Espagne-, et le GCAP/Tempest -Royaume Uni, Italie et Japon.
En Allemagne, des voix s'élèvent pour qu'il n'y ait plus qu'un projet européen de système de combat aérien du futur pour des raisons de coût et de rationalité européenne. Le média britannique The Times a récemment dévoilé que des proches du chancelier Olaf Scholz travaillent soit à un rapprochement des deux programmes, soit à l'abandon du Scaf au profit du GCAP. Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a vite démenti ces risques.
Mais l'affaire Microtecnica ramène aux tensions entre la France et l'Allemagne sur le Scaf au sujet des commandes de vol qui ont été confiées à Dassault plutôt qu'à Airbus. Le veto italien pris en concertation avec l'Allemagne est-il une réponse à la fermeté du constructeur du Rafale de ne pas partager ses brevets avec les industriels allemands?
"Tout est possible, mais je ne vais pas spéculer sur ce qui ne se dit pas. Je me base sur ce qui est écrit dans le décret", a déclaré Olivier Andriès quand nous lui avons posé cette question.
