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Défense

"Sous-estimée" par la communauté internationale, l'ambition spatiale de la Corée du Nord bénéficie (entre autres) de l'aide de Moscou

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Sous couvert de développement scientifique, le programme spatial nord-coréen se concentre pourtant sur le développement de capacités à visée militaire – avec le concours de la Russie et en dépit des sanctions internationales.

Il s'améliore d'année en année et pourrait même devenir menaçant. Le programme spatial de la Corée du Nord, initié dans les années 1980 sous couvert d'ambitions à visées scientifiques et technologiques, avait surtout pour but de disposer de capacités militaires offensives face aux États-Unis, indique le chercheur Takaaki Yamamoto dans une récente étude du Center for Strategic and International Studies (CSIS).

Lanceurs et renseignement

Les capacités spatiales de la Corée du Nord se répartissent en trois catégories: lanceurs, infrastructures de lancement et satellites. La Corée du Nord a amorcé le développement de lanceurs avec ses travaux sur le programme de missile balistique Taepodong-1 dans les années 1990, supposément d'une portée de 5.000 km. La portée a doublé avec le Taepodong-2 pour atteindre les 10.000 km. Les données du lanceur Chollima-1 – dont les deux premiers lancements ont échoué avant de réussir à mettre en orbite un satellite espion en novembre 2023 – sont données comme "inconnues" par le rapport du think tank américain. Un nouveau programme de lanceur aurait également été amorcé.

Disposant de deux sites de lancement, la Corée du Nord ne semble en exploiter qu'un seul depuis 2009: Tonghae, le plus ancien site de lancement (spatial et balistique) situé au nord-ouest du pays, serait "en maintenance" depuis 16 ans. Construit à partir des années 2000 à l'ouest et opérationnel depuis 2011, le site de Sohae a permis d'effectuer sept essais de lancement, dont trois ont réussi à placer des satellites en orbite, précise le CSIS.

Le premier essai de lancement de satellite remonte à 1998. La Corée du Nord a procédé à neuf autres lancements depuis. Le dernier lancement recensé par le rapport, daté de mai 2024, a été un échec. Si le troisième satellite envoyé dans l'espace est présenté comme un satellite espion, la résolution des images n'est pas encore assez précise pour en faire un outil d'observation crédible. L'auteur du rapport indique en revanche que la Corée du Nord progresse dans l'acquisition de technologies de pointe. La Corée du Nord a par ailleurs modifié sa loi spatiale pour y inclure les usages liés à la défense nationale.

Ainsi, le gouvernement "a supprimé les phrases qui s'engageaient auparavant à n'utiliser l'espace qu'à des fins pacifiques et s'opposaient à la militarisation de l'espace, et menace désormais de prendre des contre-mesures à l'encontre des pays qui tenteraient de commettre des 'actes hostiles' à l'égard de son programme spatial et élargit le champ de la coopération internationale", précise la publication 38th North, issue du centre de réflexion américain Stimson.

Les lancements de satellites ont été qualifiés par le Conseil de sécurité de l'ONU comme une "couverture" pour dissimuler le développement de missiles balistiques intercontinentaux, l'instance onusienne imposant des sanctions à Pyongyang. Sanctions que l'administration nord-coréenne détourne en nouant des partenariats avec d'autres pays pour poursuivre ses travaux technologiques.

L'axe Corée du Nord-Russie-Chine-Iran

Les partenaires internationaux de la Corée du Nord sont peu nombreux, mais néanmoins essentiels: Chine, Iran et Russie sont en effet en liens étroits avec l'administration de Pyongyang. L'appui déterminant de la Russie, et notamment depuis la guerre en Ukraine en 2022, permet à la Corée du Nord de contourner les sanctions internationales dont elle fait l'objet, pour poursuivre le développement de ses capacités spatiales. Ainsi, les transferts de technologies sont un fait établi, cité récemment par le ministre français des Armées Sébastien Lecornu lors d'une audition parlementaire: "Surtout, s’il fallait retenir un élément nouveau par rapport à 2022-2023, ce seraient les transferts de technologie de Moscou vers Téhéran et Pyongyang".

"Le soutien de la Russie pourrait permettre à la Corée du Nord de lancer un lanceur spatial plus puissant et des satellites plus avancés équipés de capteurs haute résolution", suppose l'auteur du rapport.

Le CSIS rappelle également qu'en juillet 2024, le département américain du Trésor a sanctionné un réseau de six personnes et cinq entités basées en Chine, impliquées dans l'acquisition d'équipements destinés aux programmes spatiaux et de missiles balistiques nord-coréens.

Dans la conclusion de son rapport, l'auteur prévient: "jusqu'ici, la communauté internationale a sous-estimé les ambitions nord-coréennes et a été surprise à plusieurs reprises par ses estimations trop optimistes".

Il préconise de "non seulement garder un œil attentif sur les progrès réalisés par la Corée du Nord dans le domaine spatial" mais aussi de "mettre réellement en œuvre les sanctions contre l'acquisition d'équipements fournis par la Chine".

Helen Chachaty