Scaf : pourquoi les déclarations du PDG de Dassault Aviation ont mis les Belges en colère
A quelques semaines du salon aéronautique du Bourget, le programme Scaf (système de combat aérien du futur) mené par la France, l'Allemagne et l'Espagne, est au centre d'une polémique avec la Belgique. Lors d’une audition au Sénat, Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, a assuré qu’il n’était pas favorable à élargir le programme Scaf d’autres pays comme l'a évoqué le ministre des Armées Sébastien Lecornu et avant lui Florence Parly, sa prédécesseure.
Mais cette fois, le message s’adresse plus particulièrement à la Belgique qui voudrait rejoindre le trio composé de la France, l’Allemagne et l’Espagne.
J'entends dire qu'on pourrait donner du travail aux sociétés belges tout de suite. Non. Si on me l'impose, je me battrai. Mais je ne vois pas pourquoi je donnerais du travail aux Belges aujourd'hui", a déclaré Éric Trappier.
Pour le patron de Dassault, les négociations à trois ont déjà été difficiles pour arriver à un accord sur la répartition des tâches. Un nouveau partenaire ne pourrait que compliquer et retarder le programme qui vise à aboutir à un démonstrateur entre 2027 et 2028.
Éric Trappier aborde aussi le sujet qui fâche : le F-35. Il rappelle qu’en 2018 la Belgique, comme d’autres pays européens, a fait le choix du chasseur américain de Lockheed Martin au détriment d’un appareil européen, le Rafale ou l’Eurofighter.
"Mettre plus de pays qui ont fait ce choix, je ne vois pas bien la logique", a-t-il déclaré en faisant référence à l’Allemagne qui a aussi signé pour des F-35, mais bien après le lancement du programme Scaf.
"Apporter une plus-value"
En Belgique, ces déclarations ont déclenché une vive polémique en mettant en avant le refus de "donner du travail aux Belges". Dans la presse, les titres ont évoqué du "mépris", de la "revanche", un "couac", voire une "crise diplomatique".
Sur Twitter, le général-major Marc Thys vice-chef de la Défense belge, estime que les propos d’Eric Trappier "mettent en doute la crédibilité française pour une construction d'une défense européenne".
La ministre de la Défense, Ludivine Dedonder, qui avec les industriels, plaide depuis des années sur la participation de la Belgique dans le programme Scaf, ne se dit «pas étonnée» et que "ce genre de déclaration a bloqué pendant des années l’Europe de la Défense".
"J'espère que les gouvernements des autres pays européens favorables à une Europe de la Défense ne suivront pas cet avis", a déclaré Ludivine Dedonder.
Ludivine Dedonder met en avant les compétences de ses entreprises de l’aéronautique et son ambition de "pas rentrer dans un tel projet pour avoir des miettes, mais pour apporter une plus-value".
"Manque de clairvoyance"
Cette "plus-value" ne peut s’obtenir qu’en participant au développement du projet et pas en étant un simple sous-traitant. Les industriels belges, notamment BeLightning (joint-venture composée d'Asco Industries, Sabca et Sonaca), en ont déjà fait l’expérience avec le F-35. Leur participation à la production de l’appareil américain n’a rapporté que 700 millions d’euros au lieu des 3,69 milliards d’euros promis par l’ancien ministre de l’Economie Kris Peeters, soit moins de 20% du montant espéré. Ce manque à gagner provient de la non-participation de Bruxelles en 2000.
En 2020, Thibauld Jongen, Pdg de la SABCA, rappelait cette erreur dans le titre économique belge, L’Echo.
"L’industrie belge doit être à bord de quelques programmes aéronautiques militaires, pour éviter de refaire l’erreur commise il y a une vingtaine d’années avec le F-35", prévenait-il en proposant une entrée dans le programme Tempest (Royaume-Uni, Italie, Japon) ou dans le Scaf.
Dans Le Vif, un éditorial accable le gouvernement belge pour son "manque de clairvoyance" en ratant "par incurie" le partenariat avec le F-35 et le refus "par idéologie anti-française" de l’offre industrielle sur le Rafale avec 20 milliards d’euros de retombées pour l’industrie.
Au-delà de leur aspect méprisant, les propos du patron français ont le mérite de nous rappeler que, dans ce dossier, la faute initiale repose sur nos gouvernements", note le journaliste Pierre-Henri Thomas.
Quelle place pour les Belges?
La Belgique aura-t-elle une place dans le Scaf ? Ce sera aux gouvernements français, allemands et espagnols d’en décider. Si cet élargissement se fait, lequel des trois pays cédera de ce qu’il a obtenu pour le donner à ce nouvel entrant ? Il faudrait renégocier le partage des tâches avec le risque de retarder le programme dont le calendrier, qui vise 2040, est déjà serré.
Au cœur du Scaf, le NGF, Next Generation Fighter, l'avion de combat européen de 6e génération. Il faudra aussi que Bruxelles s’engage à acheter le futur chasseur européen au risque de froisser Lockheed Martin qui a promis d’aider les Belges à mieux profiter des retombées du méga-contrat d'achat de 34 F-35. Même Eric Trappier n'y croit pas.
"Il n'y a que ceux qui font ces promesses pour y croire", a lancé le patron de Dassault.
Les trois pays partenaires du Scaf feront-ils pression sur Dassault et Airbus pour alléger la facture dont le montant pourrait approcher les 100 milliards d’euros dans une période où les budgets militaires sont sous pression depuis la guerre en Ukraine et les craintes d’un conflit majeur ?
Lors du salon du Bourget, qui se tient du 19 au 25 juin, les visiteurs pourront découvrir pour la première fois un pavillon dédié au Scaf où les industriels, notamment Dassault et Airbus, dévoileront quelques innovations du futur.
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