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De 100 euros l'action à 30 centimes: ces erreurs (et ces malchances) qui ont conduit le fabricant de cœur artificiel Carmat au bord du gouffre

La société estime ses besoins de financement à 12 mois à environ 35 millions d'euros dont environ 20 millions d'ici fin décembre 2025.

La société estime ses besoins de financement à 12 mois à environ 35 millions d'euros dont environ 20 millions d'ici fin décembre 2025. - Anne-Christine Poujoulat

Autrefois symbole de l'innovation médicale française, le fabricant du coeur artificiel Carmat a annoncé ce lundi 30 juin être en cessation de paiements, à court d'argent faute de n'avoir plus rassembler des fonds pour payer ses créanciers.

Rien ne va plus pour Carmat. Ex-symbole de l'innovation médicale française, le fabricant du coeur artificiel a annoncé ce lundi 30 juin être en cessation de paiement, à court d'argent faute de n'avoir pu rassembler des fonds pour payer ses créanciers. L'entreprise, qui avait alerté il y a dix jours avoir un besoin urgent de se refinancer, va "solliciter l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire auprès du Tribunal des Affaires Economiques de Versailles", selon un communiqué.

Dans l'attente de la décision du tribunal, qui devrait intervenir "dans les tout prochains jours", Carmat, cotée en Bourse depuis 2010, a demandé la suspension de sa cotation "à partir du lundi 30 juin 2025", avant l'ouverture des marchés. Son cours de Bourse évolue autour de 30 cents, alors qu'il dépassait 100 euros voici une dizaine d'années.

Campagne de dons

Créée en 2008, la société avait expliqué devoir rassembler au moins 3,5 millions d'euros d'ici au 30 juin, ainsi qu'environ 20 millions d'euros d'ici la fin de l'année. Elle avait lancé le 20 juin une campagne de dons pour assurer la poursuite de ses activités. A ce jour, la biotech n'a cependant récolté que 19.470 euros.

Son directeur général Stéphane Piat avait tenté dans un dernier élan la semaine dernière de mobiliser les investisseurs et même l'Elysée, pointant la difficulté d'accès aux capitaux pour financer l'innovation en France et évoquant le "crève-coeur" de voir possiblement disparaître une technologie française "iconique".

Erreurs stratégiques

"A partir du moment où il s'agit d'une révolution médicale, l'adoption du marché se fait très progressivement. Car les chirurgiens qui peuvent conseiller à leurs patients de prendre ce coeur sont très frileux, c'est toujours ça quand c'est nouveau, commente un analyste financier chez Allinvest securities. Le corps médical, habilité à recommander ce type d'implant, peut faire preuve d'une grande prudence, ce qui est très fréquent lors de l'introduction de nouvelles technologies médicales".

D'après ce même expert, la medtech aurait aussi commis des erreurs stratégiques: "La société a peut-être précipité les étapes, en ciblant au tout début de son histoire boursière, le marché de la thérapie définitive. Il s’agit du marché le plus important, pour tous les patients qui ne sont pas éligibles à la transplantation cardiaque (seulement 400 greffons disponibles chaque année en France) et les propriétés techniques d’Aeson semblent adaptées pour un support à long terme, mais il aurait d'abord fallu faire ses preuves sur le marché du 'bridge to transplant', c'est-à-dire celui des patients à qui l'on propose un coeur artificiel dans l'attente d'un greffon disponible".

Et c'est sans compter les aléas technologiques. La société avait suspendu les implantations de son coeur artificiel Aeson entre fin 2021 et octobre 2022 à la suite de dysfonctionnements qui avaient coûté la vie à deux patients. Et ce, malgré des améliorations apportées au dispositif depuis sa première implantation sur un patient en 2014, Carmat rêvant d'un "coeur définitif" qui remplacerait, à terme, le coeur malade.

"Rampe de lancement"

Le directeur général de Carmat estimait pourtant que sa biotech était sur "une rampe de lancement" après 42 implantations réalisées en 2024, un chiffre d'affaires de 7 millions l'an dernier et des besoins de l'entreprise, évalués à 35 millions d'euros à douze mois, qui allaient "se réduire tous les ans jusqu'à la rentabilité", prévue d'ici "4 à 5 ans". Mais après 30 ans de recherche, 550 millions d'investissements et 122 patients traités avec son coeur artificiel temporaire, inventé par le professeur Alain Carpentier, Carmat "n'est pas parvenue à ce stade à sécuriser un tel complément de trésorerie ni de nouveaux financements".

Le 12 mai dernier, l'entreprise se réjouissait même de la finalisation d'une étude clinique "EFICAS" menée auprès de 52 patients depuis novembre 2022. Elle avait également obtenu l'accord des autorités françaises pour réaliser 21 implantations supplémentaires dans l'attente du remboursement potentiel du coeur artificiel Aeson dans l'Hexagone.

"C'était plutôt une bonne nouvelle car c'était un bon moyen de générer du chiffre d'affaires tout en renforçant les données cliniques", analyse-t-on chez Allinvest securities.

Selon les experts, Carmat est une société qui consomme beaucoup de cash pour financer son activité. Le projet est tellement innovant, avec l’ambition de changer le paradigme du traitement de l’insuffisance cardiaque biventriculaire, que les moindres contretemps, comme les problèmes de qualité connus en 2021, sont difficilement digérés en Bourse.

"D'autant que le besoin était encore important: selon nos hypothèses, plus de 160 millions d'euros sont encore nécessaires pour atteindre l'auto-financement, ce qui reste relativement modeste par rapport au chemin parcouru (plus de 500 millions d'euros levés depuis la création) et du marché colossal adressé", indique Allinvest securities.

L'entreprise qui compte 180 collaborateurs entre son siège de Vélizy-Villacoublay et son site de production à Bois-d'Arcy, dans les Yvelines, "continue d'explorer toutes les options qui permettraient la poursuite de ses activités". L'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire constituerait, selon elle, "le cadre le plus approprié pour faciliter cette poursuite".

Caroline Robin avec AFP