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Casino: pourquoi le patron Jean-Charles Naouri risque un procès

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Il est soupçonné de corruption et de manipulation de cours, pour avoir tenté de maintenir le cours en chute libre de Casino.

Septembre 2018, rue de l'Université près de l'esplanade des Invalides. Nicolas Miguet, éditeur de presse plusieurs fois épinglé pour des infractions boursières, franchit les portes du numéro 148, alors siège parisien de Casino.

L'homme d'affaires, également versé en politique, a rendez-vous ce matin-là avec une grande figure du capitalisme français: Jean-Charles Naouri, qui est alors patron du distributeur et précédemment directeur de cabinet du ministère de l'Economie et banquier d'affaires chez Rothschild & Co.

Au menu du rendez-vous, selon les investigations de l'Autorité des marchés financiers (AMF) puis du Parquet national financier (PNF): l'opération "Autriche".

Ce nom désignerait, selon la même source, une opération concertée de défense du cours de Bourse du distributeur "au moyen de la diffusion d'un "feuilleton" et notamment de rumeurs sur une éventuelle offre" du concurrent Carrefour sur Casino.

Car la rentrée 2018 est agitée sur les marchés financiers pour Casino, cible une nouvelle fois de fonds dits vendeurs à découvert qui jugent son cours de Bourse surévalué. Ces fonds, dont le plus actif est Muddy Waters, pointent l'endettement du distributeur insoutenable et parient sur la baisse de l'action. Dans ce contexte, l'état-major du distributeur entend défendre l'image du groupe.

Selon une décision publique de la cour d'appel de Paris datant de juillet et mise en ligne, "l'AMF a pu vraisemblablement établir" que Casino a utilisé, "sans dévoiler son identité au public, différents moyens de communication et médias", pour "contenir les informations négatives à l'égard du groupe, pour diffuser des informations et des rumeurs favorables à la société et au titre Casino et ainsi soutenir son cours de Bourse".

"Critiques constructives"

Selon l'AMF, Casino a ainsi mandaté plusieurs agences spécialisées pour notamment rédiger des commentaires favorables sur les forums prisés de boursicoteurs. Quant à Nicolas Miguet, selon l'enquête du PNF, il va adresser à Casino 11 factures entre le 17 septembre 2018 et le 16 mai 2019, pour un montant total de 823.535 euros.

Devant les enquêteurs, qui l'ont auditionné à deux reprises sous le régime de la garde à vue, Jean-Charles Naouri a nié avoir voulu influencer le cours de Bourse de son ex-entreprise via les publications de Nicolas Miguet. Assurant avoir été "frappé par la justesse" de ses "critiques constructives", il assure avoir ensuite "demandé à ce que soit fait une convention de conseils", ceux de M. Miguet devant l'aider selon lui à "faire comprendre aux petits porteurs ce qu'était Casino et les dissuader de vendre leurs titres".

Il avait aussi confié que "plus il y a de petits porteurs, moins le phénomène de vente à découvert est possible". Devant les enquêteurs, Jean-Charles Naouri a aussi assuré ne pas avoir lu ni écouté les publications de M. Miguet auparavant, n'ayant "pas fait d'enquête sur lui". Il a émis des regrets sur le fait d'avoir conclu ce contrat en raison de "l'impact réputationnel".

Auditionné également, son ancien directeur financier de 2009 à 2018, Antoine Giscard d'Estaing, a assuré avoir quant à lui refusé de signer un projet de contrat avec Nicolas Miguet "eu égard aux condamnations en matière boursière". Les avocats de M. Naouri, Mes Marie-Alix Canu-Bernard, Nicolas Huc-Morel et Olivier Baratelli, ont dénoncé la semaine dernière les "insuffisances graves" des investigations, qui font "curieusement fi (...) des attaques inédites" par des vendeurs à découvert. Ils ont déposé une plainte avec constitution de partie civile le 9 juillet pour qu'un juge d'instruction enquête.

M. Miguet assure qu'il n'y a "aucun délit d'initié" et que "c'est calembredaine de dire qu'on va manipuler des cours". Après échanges contradictoires avec les avocats, les délits retenus peuvent évoluer jusqu'à la décision finale, dans plusieurs mois, sur l'éventuelle tenue d'un procès. Les avocats ont déposé une plainte avec constitution de partie civile le 9 juillet pour que l'enquête, ouverte après une première plainte en 2018 pour manipulation de cours, soit confiée à un juge d'instruction.

VG avec AFP