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Assurance Banque

Sans qu’on s’en rende compte, le modèle classique de la banque a déjà disparu

Les banques traditionnelles ont perdu leur monopole sur les produits financiers

Les banques traditionnelles ont perdu leur monopole sur les produits financiers - Pixabay

[AVIS D'EXPERT] Les ménages font de plus en plus appel à des services financiers en dehors de leur banque. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Vous connaissez peut-être ce morceau de Gil Scott-Heron The Revolution will not be televised. Les grands changements passent souvent d’abord inaperçus. Et ce serait le cas sans doute si les clients délaissaient en masse les banques traditionnelles pour se tourner vers de nouveaux acteurs. Ils ne le feraient pas d’un seul coup et on ne le remarquerait pas tout de suite. On ne le verrait pas en direct à la télé. Pourtant, c’est ce que nous sommes sans doute en train de vivre!

Certes, pour le moment – et malgré les attentes de beaucoup d’observateurs – on n’a aucunement vu les clients des banques traditionnelles quitter massivement ces dernières en transférant leur compte principal dans une banque en ligne, une néo-banque ou autre. Les mouvements de ce type restent marginaux et n’ont pas véritablement tendance – même si la crise a pu le laisser croire – à s’accélérer. Cependant, ce n’est pas non plus ainsi que les choses sont en train de se passer.

Début 2021, une étude du cabinet Bain & Company, menée auprès de 56.000 personnes dans quinze pays, lançait une première alerte en soulignant le caractère massif d’une "défection cachée" de la part des clients des banques. L’étude pointait en effet que jusqu’à la moitié des nouveaux produits financiers achetés sont désormais acquis auprès d’un établissement autre que celui qui tient le compte principal. Le Royaume-Uni présente le pourcentage le plus élevé (51% des achats de produits nouveaux). Il est suivi par Singapour et l’Allemagne (40%). Les Etats-Unis (38%), le Canada et la France viennent tout de suite après. Dans chacun des pays considérés (sauf apparemment en Italie), le pourcentage est au-dessus de 25% des nouveaux achats.

Des clients nomades

Selon l’étude, ce phénomène intervient essentiellement à travers les canaux digitaux et les produits nouveaux ainsi acquis sont, aux Etats-Unis par exemple, les crédits (54% sont souscrits chez un autre établissement que celui tenant le compte principal) et les cartes de crédit (50%), tandis que les dépôts sont nettement moins concernés (22%).

En somme, une véritable redistribution bancaire parait bien être engagée mais qui correspond à un nomadisme des clients, élargissant considérablement leurs choix et donc leurs fournisseurs, sans rompre avec leur établissement habituel. Cela ne correspond pas exactement à de la multi-bancarisation car il ne s’agit pas d’avoir plusieurs banques différentes quoique finalement comparables. Il s’agit de se fournir à différentes sources de produits et de services financiers, y compris auprès d’acteurs qui n’ont rien de banques.

Une enquête menée par Ipsos pour Sopra Steria ("L’Observatoire de la maturité digitale des banques") dans quatorze pays en août 2022 décrit très bien le phénomène. Si près de 3 Français sur 4 sont encore exclusivement clients dans une banque traditionnelle (72% contre seulement 54% aux Etats-Unis), pas loin d’un client français sur quatre dit être à la fois client d’une banque traditionnelle et d’une banque en ligne (23%), tandis que les clients exclusifs des banques en ligne sont très minoritaires (5% en France contre 8% aux Etats-Unis). Et, en France, un client sur quatre déclare également qu’il pourrait ouvrir un compte chez des acteurs tels qu’Amazon, Uber, Apple ou Microsoft s’ils proposaient des produits financiers intéressants (près d’un client sur trois dans l’ensemble des pays européens de l’enquête).

Si on la lit bien, cette enquête est décisive! Elle énonce clairement que les banques classiques sont en train de perdre – ont peut-être déjà perdu en fait – le monopole de la relation client pour ce qui regarde les questions financières. Cela compte bien davantage que les chiffres d’ouvertures de comptes et de changements d’établissement.

Fin d'un monopole

Traditionnellement, les Français échangent avec leur banque d’abord via leur conseiller en agence (57%) mais ce canal est désormais directement concurrencé par le site internet (54%) et par l’application mobile (41%) de leur établissement. En moyenne en Europe, le recours au digital est même devenu le 1er canal de contact avec sa banque (54% pour le site internet et 53% pour l’appli mobile) et le recours au conseiller est beaucoup plus bas (seulement 46%). Surtout, le recours à un conseiller pour souscrire à certains services n’est plus souhaité que par 6 clients sur 10. Seulement 60% des clients français, en effet, auraient encore absolument besoin de parler à un conseiller pour souscrire à un service. En Allemagne, la nécessité du recours au conseiller ne concernerait plus qu’un client sur deux (52%) et il est désormais minoritaire en Grande-Bretagne (seulement 40%). Aux Etats-Unis, seulement un client sur deux déclare qu’il a absolument besoin d’un conseiller pour souscrire à un service (52%).

Dans les moments importants de leur vie (installation, financement de projets, acquisition, retraite, etc.), seule une faible minorité de Français déclare que leur banque prend contact avec eux pour leur proposer des services adaptés. Moins d’un client français sur six ayant été en contact avec sa banque estime que sa banque lui a proposé des produits vraiment intéressants dans les moments forts de sa vie. Les outils numériques des banques ne suscitent pas davantage de satisfaction de la part des clients, que ce soit dans le suivi de leurs demandes, la qualité des solutions proposées ou encore la rapidité avec laquelle on leur répond. Enfin, seulement un client sur quatre ayant été en contact avec sa banque considère que celle-ci l’a "vraiment" traité comme quelqu’un qui compte (24% de l’ensemble des clients, seulement 30% en Europe).

Tout cela ne signifie pas une disparition rapide des banques classiques, ni la montée en puissance irrésistible et prochaine d’un ou de nouveaux acteurs. Mais cela signifie que le marché a complètement changé. Les banques n’y ont plus un monopole. Elles ne comptent plus que comme des fournisseurs parmi d’autres sur un marché dont les offres se sont fortement diversifiées ; autant que les relais d’information et de conseils pour les clients.

Dans un tel contexte, ni la reproduction sous format numérique de leurs vieilles offres, ni le renforcement de leur fonction traditionnelle de conseil ne suffiront, quoiqu’elles concentrent encore l’essentiel des efforts de transformation des banques classiques. Rien n’est joué mais la révolution est bien engagée et elle va s’accélérer.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor