Des salariés qui trichent ou arnaquent des clients... Les gros problèmes de management de Wells Fargo

La banque américaine Wells Fargo négocie avec les autorités le paiement d'une amende. (image d'illustration) - Spencer Platt - Getty Images North America - AFP
La nouvelle a eu peu d’écho, bien qu’elle rassemble tous les éléments d’une dystopie à la Black Mirror: selon Bloomberg, Wells Fargo, l’une des toutes premières banques américaines, avec plus de 48 millions de clients, a licencié des employés pour avoir… simulé leur travail sur ordinateur.
Plus d’une douzaine d’employés de la division "Wealth & Investment" (gestion de patrimoine et investissements) de la banque, soit des profils assimilables à celui de traders plus que d’employés de base, auraient notamment utilisé des "jigglers de souris" créant une fausse impression d’activité sur leur poste de travail. On ne sait si cette fraude a eu lieu à leur bureau ou en télétravail.
Les "mouse jigglers" sont en tous cas devenus relativement populaires au cours de la crise sanitaire (on peut facilement s’en procurer pour moins de 20 dollars) pour déjouer les systèmes de surveillance à distance que les employeurs ont introduits à la suite de la généralisation du télétravail et qui pointent les sites consultés, les applications utilisées et détectent les frappes au clavier ou les mouvements oculaires à l’écran. En 2020, Microsoft s’est ainsi excusé d’avoir utilisé un logiciel établissant, à leur insu, un score de productivité de ses employés fondé sur les courriels envoyés et leur participation active aux réunions.
Manquement à l'éthique
Par rapport à une telle surveillance, les outils de contournement évitent par exemple l’entrée en mode veille d’un ordinateur et imitent un usage normal du clavier. Leur emploi par les employés représente donc bien une fraude caractérisée et c’est pour manquement à l’éthique que Wells Fargo justifie les licenciements.
L’éthique est un sujet particulièrement sensible pour la banque américaine, qui a été condamnée à une amende de 3,7 milliards de dollars en 2022 pour activités délictueuses vis-à-vis de ses clients ; peut-être la plus grosse escroquerie bancaire jamais réalisée, qui reste très mal connue en France. Une escroquerie dont des milliers d’employés de Wells Fargo ont été complices. Du jamais-vu.
En effet, pour l’ouverture, à l’insu des clients, de comptes fictifs de dépôt et de cartes bancaires, générateurs de commissions, pour la commercialisation de polices d’assurances automobiles inutiles et pour la surfacturation de crédits immobiliers, 3.500 employés de Wells Fargo ont été renvoyés – plus de 3,5 millions de comptes fictifs avaient ainsi été ouverts. Remontant au moins à 2009, ces fraudes ont duré des années.
Comment une dérive d’une telle ampleur a-t-elle été possible? L’explication la plus couramment avancée revient à dire que les chargés de compte n’ont eu d’autres moyens que de recourir à ces indélicatesses pour satisfaire les objectifs commerciaux irréalistes qui leur étaient fixés et supporter la pression qu’ils subissaient tous les jours pour les atteindre. Alors que Wells Fargo a la réputation d’être l’une des premières banques "cross-seller" au monde, un objectif d’équipement d’au moins huit produits par client avait en effet été défini. La direction de l’établissement a donc été mise en cause et le président John Stumpf a été poussé à la démission.
Toutefois, l’explication paraît un peu courte. Que la responsabilité de la direction ait été engagée ne paraît pas abusif. Soit elle savait (ce qui est possible) et c’est grave. Soit elle ne savait pas (ce qui est plus probable) et c’est tout aussi grave. Cela, néanmoins, ne dédouane pas des employés qui furent en l’occurrence très nombreux à rapidement trouver les moyens de frauder, en profitant pour cela des clients les plus vulnérables (dont la communauté des Indiens Navajos) et en se livrant à de véritables malversations (détournements des codes PIN des clients, permettant ouvertures de comptes et mouvements de fonds à leur insu). Il est difficile de croire qu’en cela le top management leur ait dit précisément comment faire.
Un problème de management
En termes de management, les récents licenciements pour travail simulé posent les mêmes questions et sont peut-être encore plus consternants. Car tout, dans cette affaire, est absurde.
Pour l’Electronic Frontier Foundation, les outils de surveillance sur les postes de travail sont invasifs et peuvent favoriser des comportements contre-productifs chez les employés, comme se concentrer sur des indicateurs superficiels plutôt que sur le rendement réel de leur activité. Certainement mais cela n’excuse pas les employés qui, en l’occurrence, ont eu recours à des techniques de fraude. L’Institute for Public Policy Research britannique affirme que ces outils de surveillance ciblent de manière disproportionnée les minorités, ainsi que les femmes et les jeunes travailleurs.
Mais ce n’est pas tellement le problème en l’occurrence, qui tient plutôt au constat que l’une des plus grandes et des plus vieilles banques au monde (créée en 1852) ne sait non seulement pas exactement ce que font ses employés mais même s’ils lui sont réellement utiles, puisqu’elle n’a d’autres moyens pour s’assurer de leur contribution que de mettre en place des systèmes de surveillance fondés sur des indices grotesques tels que l’utilisation du clavier d’un poste de travail.
Dans des conditions de management aussi déplorables, le développement d’une véritable culture interne de l’arnaque n’est pas très surprenant et la question est de savoir si Wells Fargo est vraiment le seul établissement concerné.