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Agriculture

Des subventions utilisées pour organiser des fêtes: la Cour des comptes rappelle les chambres d'agriculteurs à la rigueur budgétaire

L'entrée des locaux d'une chambre d'agriculture locale, dans le sud de la France, en mars 2023 (photo d'illustration).

L'entrée des locaux d'une chambre d'agriculture locale, dans le sud de la France, en mars 2023 (photo d'illustration). - MAGALI COHEN / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Dans un rapport publié ce mercredi, la Cour des comptes a appelé les chambres d'agricultures à gagner en efficacité et en transparence.

"Favoritisme", "décisions illégales" et tutelle de l'État "trop peu effective": la Cour des comptes dénonce les dérives de chambres d'agriculture, rappelées à la rigueur budgétaire et à leur rôle d'accompagnement des transitions du monde agricole.

Dans un rapport publié mercredi, l'instance appelle à renforcer la "régionalisation" du réseau des chambres, encore "trop faible", pour gagner en efficacité et en transparence, et regrette que la tête du réseau ne parvienne "pas encore à faire respecter ses décisions", notamment "en matière de normes communes".

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De son côté, le président de l'entité nationale Chambres d'agriculture France, Sébastien Windsor, a défendu auprès de l'AFP "des avancées" en matière de gouvernance (centralisation de l'outil informatique, création d'une cellule d'audit...) et rappelé que "le pouvoir de sanction" que lui confère la loi d'orientation agricole de 2025 n'est "toujours pas effectif", faute de publication d'un décret d'application.

Budget annuel de 800 millions d'euros

Le rôle des chambres, créées en 1924, est déterminant: elles ont participé à la transformation de l'agriculture tout au long du siècle, oeuvrant à l'application des réformes, du remembrement des terres acté dès 1919 à la révolution mécanique et chimique en passant par les aides de la politique agricole commune (PAC). Ces établissements publics –100 chambres départementales et régionales, et une entité nationale–ont, selon le code rural, pour mission essentielle de représenter les "intérêts de l'agriculture auprès des pouvoirs publics" et d'améliorer "la performance économique, sociale et environnementale" des exploitations.

Leur gouvernance est renouvelée tous les six ans lors d'élections professionnelles: elles sont principalement dirigées par des exploitants agricoles, emploient 8.200 salariés et disposent d'un budget annuel de presque 800 millions d'euros, dont 75% proviennent de ressources publiques. "Les enjeux économiques, territoriaux, de souveraineté, sanitaires et environnementaux qui s'attachent à l'activité agricole peuvent justifier cet effort budgétaire", estime la Cour des comptes, "mais il impose une plus grande responsabilité aux chambres et à l'État dans sa mise en œuvre".

La Cour rappelle ainsi "l'exigence de neutralité des chambres" dans leurs dépenses et l'interdiction des subventions accordées à des syndicats agricoles, une pratique qui pourtant se poursuit, "le plus souvent sans observations des préfectures".

"Attribution irrégulière de subventions"

Dans un réseau encore largement dominé par l'alliance FNSEA-Jeunes agriculteurs (JA), à la tête de 83 chambres sur 101, la Cour a notamment relevé une subvention de 66.300 euros accordée en 2017 (et reconduite chaque année) à la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de Vendée pour "soutenir une mission de veille et d'écoute des agriculteurs", sans réel contrôle et en dépit des protestations d'autres syndicats.

En Île-de France, une subvention accordée aux JA et destinée à l'installation de jeunes exploitants, a notamment servi à l'organisation de "fêtes des moissons" en 2020. "L'attribution irrégulière de subventions doit disparaître", insiste la Cour des comptes, qui relève également un "risque d'atteintes à la probité", et notamment de "corruption", dans le fonctionnement des chambres.  Elle relève le comportement de franc-tireur d'une chambre comme celle du Lot-et-Garonne, présidée par la Coordination rurale depuis 2001, qui ne transmet pas de données, refuse les audits et a assumé la construction illégale d'une retenue d'eau, sans pour autant subir de sanction.

La Cour regrette ainsi une "tutelle trop peu interventionniste" du ministère de l'Agriculture, et appelle à son renforcement, ainsi que celle, au niveau local, des préfets. Alors que l'État avait fixé dès 2016 un objectif de régionalisation du réseau des chambres, la Cour en constate le "faible niveau". Ce notamment en raison d'une résistance départementale, répondant au découpage syndical favorisé par le mode de scrutin actuel aux élections agricoles, que la Cour des comptes souhaite aussi voir réformé.

Une politique publique erratique

Enfin, "le réseau devra sortir de sa timidité en ce qui concerne l'accompagnement des transitions environnementales pourtant affiché comme priorité par le contrat d'objectifs et de performances (COP)" signé en 2021 avec l'État. À cet égard, concernant la "réduction de l'usage des intrants chimiques qui demeure un enjeu majeur de l'évolution des modes de production", la Cour des comptes estime, à la décharge des chambres d'agriculture, qu'elles "ont reçu des signaux de politique publique erratiques".

Pour Sébastien Windsor, il est essentiel "d'agir en même temps sur le sujet des revenus des agriculteurs et celui de l'environnement" pour favoriser les transitions.

Jérémy Bruno avec AFP Journaliste BFMTV