"Il partait marcher à 3 heures du matin avec sa frontale": quand les challenges de pas en entreprise dégénèrent

marcher (image d'illustration) - pexel
C'est un mois où elle a eu bien mal aux jambes. "Je partais de soirée à 4 heures du matin et je marchais 1h30 pour rentrer chez moi, on a un peu poussé le challenge à l'extrême", sourit Leila* aujourd'hui.
Comme de nombreuses entreprises ces dernières années, son employeur a organisé un challenge de pas auquel la jeune urbaniste s'est inscrite avec ses collègues. "Au début, on le faisait pour voir, et très vite on s'est pris au jeu, ça a vraiment créé un esprit d'équipe entre nous", se souvient-elle.
Pendant un mois, l'objectif était de faire le plus de pas possible, comptabilisés grâce à une application. Les salariés étaient réunis en équipes et pouvaient chaque semaine réaliser des défis pour gagner encore plus de points. De quoi acérer l'esprit de compétition de certains.
"Au lieu d'aller boire un verre, on a marché 1h30 sous la pluie"
En quelques jours, la jeune femme a changé ses habitudes du tout au tout: une heure de marche le matin pour aller au travail, rebelote en fin de journée pour rentrer, sans oublier la balade digestive le soir. Soit au minimum 2h30 de marche par jour en semaine (et parfois plus le week-end).
Plus question de prendre le bus ou le métro, tout déplacement ou moment libre devient une occasion de faire exploser le compteur de pas, et ce par tous les temps. "Ça donne des situations cocasses, une copine me rendait visite à Paris, au lieu d'aller boire un verre on a marché 1h30 sous la pluie", se souvient Leïla.
"On avait aussi un séminaire d'entreprise avec une soirée, on a fini vers 3 heures du matin, on est tous rentrés à pied", se souvient-elle.
Et la jeune femme n'est pas la seule à prendre la compétition au sérieux. "Le week-end je me suis retrouvé à marcher d'Asnières à Bercy, soit 13 kilomètres, pour remplir les objectifs", se souvient Guillaume, dessinateur pour un équipementier industriel.
Dans son entreprise, qui compte plusieurs sites en Europe, tous les salariés étaient invités à participer à un challenge de pas.
"En Angleterre, il y avait un participant qui était devenu un peu fou, il se levait à 3 heures du matin et partait marcher avec sa frontale", raconte-t-il.
"Des effets positifs sur l'absentéisme"
Malgré les courbatures, les salariés interrogés par BFM Business en gardent un très bon souvenir. "Le midi tout le monde ne parle que de ça, il y avait une ambiance euphorique", se rappelle Leila.
"Les équipes sont mélangées, il y a des manageurs, des stagiaires, ça m'a permis de rencontrer des collègues auxquels je n'aurais jamais parlé sinon", poursuit l'urbaniste.
Valérie Le Bris, DRH chez Procter & Gamble (qui commercialise les marques Gilette, Pampers, Ariel, Oral-B...) a aussi mis en place ce challenge dans son groupe. "Tout le monde s’est mis au sport à son niveau en fonction de ses capacités", assure-t-elle.
"On a ajouté des épreuves non sportives et plutôt fun, ce qui permettait que chacun se sente inclus", ajoute la dirigeante.
Et les bienfaits se font sentir immédiatement, selon Geoffrey Fournier, DRH chez Snow Group, un constructeur de spas. "Dans ma précédente entreprise, j'avais mis en place ce challenge et on a directement vu un effet positif sur la productivité, le bien-être et l'assiduité, assure-t-il. Je ne pensais pas que ça se verrait à ce point."
S'il est difficile de faire des liens de cause à effet, il assure avoir observé "une réduction du taux d'absentéisme de 1,5 point, alors que l'entreprise était déjà sur de bons ratios". Par ailleurs, un regain d'intérêt a été observé pour les offres de cours de sport proposées par le comité d'entreprise. Le DRH compte bien réitérer l'expérience dans sa nouvelle société dès les prochains mois.
Intrusion dans la vie privée, délation, surveillance...
Mais évidemment, ce genre de dispositifs comporte son lot de travers. Leila souligne notamment le risque que le challenge empiète un peu trop sur la vie privée. Dans son entreprise, il fallait synchroniser ses pas en fin de semaine. "Le risque, c'est d'envoyer un message à un collègue le dimanche soir pour lui rappeler de charger ses pas, sinon tous les efforts de la semaine sont perdus", pointe-t-elle.
"Il y a aussi un petit risque de surveillance parce qu'on voit le nombre de pas de nos collègues, on peut vite se dire: 'Oh elle n'a pas marché samedi'", ajoute-t-elle.
Pour Gautier, salarié dans une institution publique financière, ce challenge a aussi créé de petites tensions. "Je me souviens que certains râlaient, ils disaient que des participants d'autres équipes trichaient, il y avait de la délation", se rappelle-t-il. "En même temps, c'est vrai qu'un participant faisait 50 kilomètres par jour, ça paraît impossible..."
Malgré ces petites dérives, ce challenge a été une super expérience pour les salariés interrogés. "Ça a permis de sensibiliser tout le monde à la marche, et puis les pas réalisés étaient transformés en dons pour une association", se réjouit Gautier. "Et puis marcher pour une bonne cause, c'est toujours une bonne idée!"
* le prénom a été modifié