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Union européenne

Brexit: où veut vraiment aller Boris Johnson?

Le Premier ministre britannique Boris Johnson (g) et la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, le 9 décembre 2020 à Bruxelles

Le Premier ministre britannique Boris Johnson (g) et la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, le 9 décembre 2020 à Bruxelles - Aaron Chown © 2019 AFP

Le Premier ministre britannique et son entourage multiplient les déclarations pessimistes sur l'issue des négociations post-Brexit sans quitter la table des discussions pour autant. Le leader conservateur semble surtout vouloir faire bonne figure auprès de l'opinion publique.

Des progrès mais toujours des divergences. C’est en substance ce qu’a rapporté Michel Barnier ce lundi lors de son compte-rendu des négociations sur le Brexit aux représentants des Etats membres à Bruxelles. Rien de bien nouveau, en somme.

La veille, une autre scène semblait se répéter. Après un échange téléphonique, la cheffe de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen, et le Premier ministre britannique, Boris Johnson, ont invité leurs négociateurs respectifs à fournir un "effort supplémentaire" pour trouver un accord commercial avant la date butoir du 31 décembre. Comme un air de déjà-vu.

Il faut dire que les enjeux sont considérables. Sans accord au 31 décembre, le Royaume-Uni quittera définitivement l’Union européenne et les relations commerciales entre les deux camps seront régies dès lors par les règles de l’OMC, synonymes de droits de douane coûteux. De quoi porter un nouveau coup dur à des économies déjà affectées par la pandémie de coronavirus.

Faire porter la responsabilité sur l’Union européenne

No deal "très, très probable", "forte possibilité qu'il n'y ait pas d'accord"... Malgré les récentes déclarations particulièrement pessimistes côté britannique, difficile dans ces conditions d’assumer la responsabilité d’un échec des négociations en prenant l’initiative de quitter la table. Alors, autant jouer le jeu jusqu’au bout.

D’autant que si les artisans du Brexit qui composent l’entourage de Boris Johnson estiment qu’un divorce brutal est la seule manière "de recouvrer la pleine souveraineté britannique, la plupart d’entre eux, même s’ils feignent l’inverse, n’ignorent pas les graves conséquences économiques, sociales et même logistiques qui vont déferler à partir du 1er janvier 2021 en l’absence d’accord", analyse Aurélien Colson, professeur de science politique à l’Essec Business School, où il dirige l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation (IRENE).

"Dès lors, il leur est essentiel de pouvoir désigner l’Union européenne comme seule responsable de ce fiasco. C’est pourquoi le Premier ministre britannique accepte sans cesse de prolonger les discussions en espérant que l’UE claquera la porte", poursuit le spécialiste en négociation. Peine perdue, selon lui, l’UE croyant "sincèrement en la négociation comme méthode de règlement des différends; elle ne quitte pratiquement jamais la table".

Sortie "à l’australienne"

A 17 jours de la fin de la période de transition, Boris Johnson tente de ménager les esprits. Le locataire de Downing Street a chassé de son vocabulaire l’expression "no deal", préférant parler d’une sortie de l’Union européenne "sur le modèle australien". Une simple pirouette sémantique car "l’Australie n’a pas d’accord avec l’Union européenne… et cherche depuis plusieurs années à en négocier un! Ce serait plus exact de dire ‘accord à la libyenne’ ou ‘accord à l’afghane’. Mais cela serait moins séduisant pour l’électeur brexiter", observe Aurélien Colson.

Le dirigeant conservateur a également cherché à s’entretenir avec Emmanuel Macron et Angela Merkel ces derniers jours. Sans succès. Le président français et la chancelière allemande ayant invité leur homologue à se tourner vers la Commission européenne, la seule disposant d’un mandat pour négocier. Il n’en fallait pas plus pour provoquer la colère de plusieurs députés tories, suivis par certains titres de presse britanniques qui ne sont pas privés pour dire tout le mal qu’ils pensaient du couple franco-allemand.

Mais "dans cette tentative de contourner le négociateur en chef, Michel Barnier, le Premier ministre britannique fait preuve de naïveté", selon Aurélien Colson. Avant de concevoir cependant que "le refus concerté d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel aide Johnson, sur la scène médiatique britannique, à nourrir le procès de l’intransigeance supposée des Européens. Cela lui suffit".

Reprise des négociations en 2021?

Quoi qu’il en soit, parvenir à un accord commercial applicable au 1er janvier semble mission impossible. Car il faudrait d’abord prendre le temps de traduire en 24 langues ce document de plusieurs centaines de pages avant de le soumettre aux parlementaires européens afin qu’ils le ratifient, ce qui là-encore ne peut se faire en quelques heures. Sans oublier que si l’accord porte sur des compétences partagées, la ratification des parlements nationaux sera également nécessaire.

Des alternatives sont toutefois envisageables. "On peut imaginer un accord prévoyant une période intérimaire ad hoc, durant laquelle l’état actuel (période de transition au cours de laquelle Londres continuent d’être aligné sur les règles européennes, ndlr) se prolonge dans l’attente de la ratification. Ou bien un accord dont certaines parties, essentielles au maintien du trafic transmanche par exemple, seraient appliquées par anticipation", suggère encore le fondateur de l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation.

Une autre hypothèse consisterait à acter l’échec des négociations et donc le "no deal" tout en s’engageant à reprendre les discussions l’année prochaine, comme l’envisage déjà l’Union européenne. Une invitation rejetée dans la foulée par le gouvernement britannique. Reste à savoir s’il s’agit là d’une réelle volonté de clore les discussions ou d’un nouveau coup de bluff.

Car un accord, qu’il soit conclu dans un, deux ou trois ans, est dans l’intérêt des deux camps, mais surtout dans celui du Royaume-Uni. "En l’absence d’accord, les effets concrets sur des pans entiers de la vie économique britannique vont effectuer un ‘reality check’: un retour au réel démontrant, par-delà le spin de la communication, ce que signifie vraiment un ‘accord à l’australienne’. Les Britanniques reprendront évidemment le chemin de la négociation, dans une situation encore dégradée pour eux", prédit Aurélien Colson.
https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco