TOUT COMPRENDRE - Pourquoi les salariés britanniques observent des grèves massives

Le Royaume-Uni n'a peut-être pas connu cela depuis l'ère Thatcher. Plusieurs syndicats nationaux, dans la foulée des transports ferroviaires, ont décidé de débrayer ou menacent de le faire. Les transports londoniens ont été bloqués et plusieurs secteurs ont fixé des ultimatums à la fin du mois.
Il faut dire que les prévisions macroéconomiques ne sont pas bonnes pour Londres, qui va subir un recul de son économie et un pic d'inflation d'ici la fin de l'année. Alors que la transition post-Boris Johnson doit connaître son épilogue le 5 septembre, avec l'élection d'une nouvelle tête à Downing Street, le dialogue social avec le patronat et les autorités publiques ne semble pas en mesure d'apaiser les tensions.
• Qui sont les grévistes?
Le débrayage est massif. Les trains ont été bloqués de façon importante ce week-end, un jour après la paralysie quasi-totale des transports en commun londoniens par les cheminots et conducteurs de bus. Mike Lynch, responsable de RMT, principal syndicat du rail, a averti d'un arrêt d'une durée "indéfinie" si rien ne change.
Dans la roue des cheminots se sont insérés les éboueurs, notamment dans les quartiers de Windsor et Maidenhead : ils protesteront à la fin du mois d'août. Le port de Felixstowe est bloqué pour une durée de huit jours pour le moment - et si le fret destiné aux particuliers ne sera pas affecté, près de 40% des marchandises circulant par voie maritime au Royaume-Uni vont être retenues pour un coût qui pourrait atteindre les 800 millions de dollars.
De façon plus exceptionnelle encore, les avocats menacent d'entrer en grève en septembre. La Criminal Bar Association (CBA) réclame une augmentation de 25% pour les prestations de commis d'office. Il a décliné une offre de 15% de la part du gouvernement. Enfin, fait notable, le secteur privé est aussi concerné: les salariés d'Amazon ont décidé de rejoindre le mouvement national, ainsi que ceux de l'opération BT (ex-British Telecom).
• Pourquoi protestent-ils?
La colère des travailleurs britanniques provient de l'inflation, qui frappe au Royaume-Uni avec la même dureté que sur le continent: si des mesures de plafonnement des dépenses énergétiques retiennent un peu la hausse des prix, elle atteint 10,1% en rythme annuel en juillet, soit un niveau supérieur à celui de la France et de l'Allemagne.
Andrew Bailey, le patron de la Banque d'Angleterre, prévenait en outre début août d'une tendance à l'accélération: en relevant les taux de 50 points de base, à 1,75%, il annonçait un chiffre de 13,3% pour la fin de l'année, couplé à un recul de l'activité pour le dernier trimestre.
• En quoi le blocage est-il exceptionnel?
Le mouvement a une ampleur importante: il s'agit par exemple du débrayage le plus important depuis 1989 dans le domaine ferroviaire. La diversité des profils de travailleurs à l'arrêt est aussi saillante. Tout comme le soutien de l'opinion publique vis-à-vis du mouvement: contrairement à ce qui aurait pu être projeté, il recueille plus d'appuis (59% de la population adulte se prononce en sa faveur) que de critiques (31%).
Le contexte rend par ailleurs très difficile les mobilisations de ce type. La législation s'est durcie depuis les grèves de 1984 (mines) et 1986 (livre) qui avaient encombré Margaret Thatcher. Désormais, la loi oblige les syndicats à déposer un préavis de grève, et d'enclencher de surcroît un vote de ses adhérents sur le sujet. La participation doit y atteindre au moins 50%. Les grèves spontanées sont interdites, tout comme les mobilisations de solidarité -les travailleurs d'une industrie ne peuvent pas faire grève pour en soutenir d'autres.
Résultat: les syndicats ont perdu la moitié de leurs membres depuis 1995 et n'en comptent plus que 6,4 millions. Le nombre de jours de grève observé est passé de 30 millions par an en 1979 à moins de 300 000. Le fait de voir des votes syndicaux avec une participation au-delà des 80% ces dernières semaines atteste donc d'un moment allant à l'encontre des tendances globales.
• Quelle est la réaction des autorités?
Les négociations se sont d’abord inscrites dans le cadre professionnel - et ont échoué. Les cheminots britanniques ont ainsi repoussé une offre de 8% d’augmentation avant de se mettre en grève, les éboueurs de 6%. Amazon a braqué ses salariés en ne leur offrant que 3% à peine d’augmentation. Quant au ministère de la justice, chargé des avocats, il estime que les réformes demandées par ces derniers coûteraient trop cher et impliqueraient des délais de paiement plus élevés.
Alors que la succession de Boris Johnson se dessine, les deux candidats au poste rejettent des négociations. Rishi Sunak appuie l’interdiction des grèves pour les services essentiels, quand la favorite Liz Truss dénonce le “rançonnage” du pays par les syndicats. Elle veut rendre plus difficiles les règles pour faire grève.
A l’échelle globale, le Royaume-Uni va aussi bientôt relever le plafond de son “bouclier tarifaire” sur l’énergie: le mécanisme avait été introduit par Theresa May mais l’inflation fait exploser son coût. De quoi alimenter l’impact de l’inflation sur les portefeuilles.