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Retraites: le report de l'âge légal fait-il augmenter les dépenses de santé?

En 2010, le report de l'âge légal de départ et du taux plein automatique s'est traduit par une hausse des arrêts maladie et des dépenses de soins des personnes les plus proches de la retraite, observe l'Insee dans une étude.

Avant tout conçue pour dégager des économies, la réforme des retraites aura aussi un coût. Outre les mesures d'accompagnement (pension minimum, surcote pour certaines mères de famille…) qui vont rogner les gains attendus, le report de l'âge légal de 62 à 64 ans risque de conduire à une hausse des dépenses sociales.

Repérée par Les Echos, une étude de l'Insee publiée il y a quelques jours se penche tout particulièrement sur les dépenses de santé. Pour tenter de mesurer l'impact à court terme d'un décalage de l'âge de départ sur la consommation de soins des personnes proches de la retraite, l'institut de la statistique a examiné les effets de la réforme de 2010, celle qui a relevé progressivement l'âge légal de 60 à 62 ans, à raison de quatre mois par génération, et l'âge du taux plein automatique de 65 à 67 ans.

Une augmention modérée (quatre mois) des âges d'ouverture des droits et d'annulation de la décote augmente substantiellement la probabilité d'absence pour maladie chez les salariés du secteur privé âgés de 54 ans et plus" dans les dix mois qui ont suivi l'annonce de la réforme, note l'Insee.

Plus précisément, les auteurs de l'étude observent "qu'un report de l'âge légal et de l'âge du taux plein augmente la probabilité d'avoir au moins un arrêt maladie au cours de la période étudiée de 11,8% pour les hommes et 10,3% pour les femmes" les plus proches de la retraite. En revanche, la réforme des retraites n'a pas eu d'incidence sur la durée totale des arrêts maladie.

Hausse des dépenses, surtout chez les spécialistes

L'Insee remarque qu'un report de l'âge de départ n'augmente pas spécialement la probabilité de consulter un médecin généraliste pour les personnes proches de la retraite. Mais elle augmente davantage la probabilité de consulter un spécialiste ou un kinésithérapeuthe.

Mécaniquement, cela entraîne une hausse des dépenses de santé: "Globalement, nos résultats suggèrent qu'une augmentation de quatre mois de l'âge légal et de l'âge du taux plein a un effet non négligeable sur les dépenses pour des visites chez les médecins ou les kinésithérapeuthes, ainsi que sur les dépenses de médicaments", relève l'Insee.

Et de préciser que "le report de la retraite augmente la probabilité de consulter un spécialiste, et conduit in fine à une hausse des dépenses de santé, en particuilier parmi les salariés dont les dépenses de santé sont initialement faibles".

Troubles psychologiques et physiques

Il s'agit désormais de savoir pourquoi les individus les plus proches de la retraite sont davantage susceptibles de prendre un congé maladie lorsque l'âge de départ est relevé. L'Insee avance deux hypothèses. La première correspond à un aléa moral. Le raisonnement est le suivant: les personnes proches de la retraite considéreraient la réforme comme injuste et réduiraient leur activité en signe de protestation.

Mais cette théorie ne tient pas. En effet, si l'augmentation des arrêts maladie témoignait simplement d'une forme de protestation, la probabilité de consulter un généraliste augmenterait, "car les salariés pourraient s'attendre à davantage de complaisance de la part de leur médecin de famille que de la part de médecins spécialistes", relève l'Insee. Or, ce n'est pas ce que l'on observe. En outre, "il n'y aurait pas de raison pour que les visites chez un kinésithérapeuthe et la consommation de médicaments augmentent", note encore l'institut.

La seconde hypothèse, plus probable, revient à dire que "les individus touchés par une modification défavorable du système de retraite vers la fin de leur carrière sont fortement déçus". Résultat, il est possible que cela conduise à "un stress susceptible de provoquer des troubles psychologiques, voire physiques", d'après les experts de l'Insee. En particulier, "la nécessité de renoncer à ses projets peut engendrer une détresse psychologique et affecter le bien-être physique".

Un autre mécanisme, complémentaire, consiste à dire que les personnes qui souffraient déjà "de troubles psychologiques ou physiques (…) décident de recourir à davantage de soins sachant qu'ils devront travailler plus longtemps".

Des dépenses sociales attendues en hausse

L'étude de l'Insee présente deux limites principales. D'abord, elle évalue l'impact sur les dépenses de santé de la réforme de 2010 qui est un peu différente de celle de 2023, laquelle allonge la durée de travail de trois mois par génération (et non quatre) et ne touche pas à l'âge d'annulation de la décote qui reste fixé à 67. En second lieu, elle n'évalue que les effets à court terme, c'est-à-dire ceux qui surviennent dans les dix mois suivants l'annonce de la réforme. "En conséquence, (…) nous ne savons pas si (ces effets) persistent sur le moyen ou le long terme", reconnaît l'Insee.

Au-delà des dépenses de santé, la Cour des comptes estimait que le surcoût engendré par les mesures d'âge de la réforme de 2010 était, fin 2017, de 710 millions d'euros par an au titre du RSA, de l'AAH et de l'ASS pour la tranche d'âge des 60-64 ans. Les Sages évaluaient également à 780 millions d'euros par an le surcoût correspondant à l'indemnisation d'un sureffectif de 50.000 chômeurs âgés de 60 à 64 ans.

Dans la même logique, la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (Dress) a tenté début 2022 de simuler l'impact d'une réforme décalant l'âge légal de départ de 62 à 64 ans et dont la montée en charge aurait pris fin en 2019. Selon ces travaux, cela aurait conduit à "une augmentation des dépenses de prestations sociales hors retraite et assurance chômage de l'ordre de 3,6 milliards d'euros", dont 1,8 milliard d'euros supplémentaires pour les pensions d'invalidité, 970 millions pour les arrêts maladie et 830 millions pour les minima sociaux (RSA, AAH et ASS).

Dans son étude d'impact de la réforme des retraites, le gouvernement reconnaît qu'un report de l'âge légal de départ à la retraite entraîne une hausse d'autres dépenses sociales, "en particulier des pensions d'invalidité". S'appuyant sur les travaux de la Drees, il souligne toutefois que cet "effet de report" est "estimé à près de 25% du montant des économies réalisées par le biais de cette réforme".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco