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Les ministères se renvoient la balle: promis pour 2024 par Élisabeth Borne, le remboursement des culottes menstruelles se fait toujours attendre

En seulement trois ans, une vingtaine de marques de culottes menstruelles sont nées en France

En seulement trois ans, une vingtaine de marques de culottes menstruelles sont nées en France - Elia

Alors qu'un projet de décret prévoyait le remboursement des culottes menstruelles et cups à compter du 1er septembre, le processus réglementaire semble bloqué depuis de longs mois au ministère de la Santé... Au grand dam des patients victimes de précarité menstruelle.

Combien de temps faudra-t-il encore patienter? Promesse d'Élisabeth Borne lorsqu'elle était encore Première ministre le 8 mars 2023, le remboursement des protections périodiques réutilisables, à savoir les culottes menstruelles et les cups, se fait toujours attendre. Et ce, alors que la mesure a bien été votée et adoptée il y a près de deux ans dans le cadre du budget de la Sécu pour lutter contre la précarité menstruelles des moins de 26 ans et bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S).

Un projet de décret, dévoilé en avril par le média d'investigation économique L'Informé, prévoyait pourtant une entrée en vigueur de la mesure au 1er septembre. La période estivale est passée et toujours aucun texte réglementaire publié au Journal officiel.

"Je pense que les débats sur le budget pèsent sur l'avancée de ce décret. Malheureusement, je crains qu'il s'agisse encore d'une mesure d'affichage annoncée et jamais mise en oeuvre", déplore la députée socialiste de Seine-et-Marne Céline Thiébault-Martinez.

Une promesse prématurée d'Aurore Bergé

Cette parlementaire avait d'ailleurs demandé des comptes au gouvernement le 29 mai dernier à l'Assemblée nationale. "En 2023, la Première ministre annonçait fièrement le remboursement des protections périodiques réutilisables à compter de 2024. Cette mesure a été votée par cette assemblée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Nous sommes en mai 2025 et nous n'avons toujours ni décret, ni cahier des charges définissant les produits et modèles pris en charge", avait-elle reproché.

En réponse à cette sollicitation, la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et hommes avait reconnu qu'"il y a du retard" et considéré que "c'est inacceptable". "C'est la raison pour laquelle, avec Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, nous nous engageons à ce que cette mesure soit instaurée avant la fin de l'année…", avait-elle annoncé.

C'est là que la bât blesse. Car le cabinet d'Aurore Bergé n'est pas officiellement impliqué dans l'élaboration du projet de décret.

"Voyez avec les équipes de Yannick Neuder", souffle l'entourage de la ministre auprès de BFM Business. "C'est un sujet qui relève du cabinet de Catherine Vautrin", répond l'équipe du médecin cardiologue et ancien député Les Républicains (LR) de l'Isère.

Si l'on se fie au projet de décret, consulté par BFM Business, seuls les cabinets de de la ministre du Travail, de la santé, des solidarités et des familles, Catherine Vautrin, et du ministre de Économie et des finances, Éric Lombard sont saisis du sujet. Alors, où en est-on concrètement? Contacté par BFM Business, le cabinet de Catherine Vautrin est peu bavard. "Le décret est en cours de préparation, cela avance avec l'ensemble des industriels et les associations de patients", se contente-t-on d'indiquer.

Avis négatif des complémentaires santé

Mais les parties prenantes perdent patience. "Tout ça est très lent. Ce qui est pénible, c'est qu'on a l'impression que le sujet est traité par dessus la jambe, on voit bien que la précarité menstruelle n'a jamais été une priorité. Et vu l'instabilité politique, j'ai peur que le projet soit retardé encore de plusieurs mois", soupire Maud Leblon, directrice de l'association Règles élémentaires.

"Le dialogue est bien avec la Direction de la Sécurité sociale qui nous a contacté très vite il y a deux ans. Mais ce qui bloque, c'est la situation politique", suppose Marion Goilav, cofondatrice de la marque de culottes menstruelles Elia.

Il faut dire que le décret ne fait pas l'unanimité. Soumis pour avis à l'Union nationale des complémentaires santé (Unocam), cette dernière a partagé ses réticences aux modalités de remboursement envisagées par le gouvernement. Et pour cause, le projet de décret prévoit d'intégrer le remboursement partiel des culottes menstruelles et cups, à hauteur de 35 à 45%, au contrat responsable des complémentaires santé. Or les mutuelles et assurances aurait préféré que cette prise en charge soit "facultative".

"L’Unocam considère que le dispositif tel qu’envisagé constitue une mauvaise réponse à un vrai problème. Elle alerte à nouveau sur ses conséquences sur la soutenabilité de l’accès à la complémentaire santé et le pouvoir d’achat des Français. L’impact financier du dispositif est loin d’être négligeable : 156 millions d'euros au total dont 93,7 millions d'euros pour l’assurance maladie obligatoire la première année et 62,4 millions d'euros au titre du ticket modérateur avec l’hypothèse d’une répartition 60/40", détaille-t-elle dans un avis formulé le 16 avril.

Un cahier des charges pas encore au point

Il n'empêche: même si le décret était publié au Journal officiel, il ne changerait rien dans l'immédiat. Car ce texte doit être assorti d'un arrêté, précisant le cahier des charges à respecter pour que les fabricants puissent postuler à la prise en charge, par l'Assurance maladie et les complémentaires santé, de leurs culottes menstruelles.

Et il y a encore du travail à mener. "Une première version du cahier des charges a été transmise en décembre l'année dernière. Puis une deuxième et enfin une troisième en début d'été", indique un fabricant auprès de BFM Business. Malgré les révisions, la copie serait loin d'être satisfaisante.

Consulté par BFM Business, le document indique par exemple que la culotte menstruelle doit être constituée de trois couches absorbantes mais aussi "être certifiée Oeko-Tex Standard 100 classe 2". Ce certificat doit par ailleurs "être détenu depuis moins d'un an et transmis annuellement après le référencement du produit".

Mais ce qui chiffonne les parties prenantes, c'est plutôt la capacité d'absorption qui doit être "d'au moins 20 ml", peut-on lire dans le projet d'arrêté. "Cela n'a pas de sens, les femmes perdent entre 30 et 80 mililitres sur une période de 3 à 7 jours de règles. On est loin des 20 ml par jour!", soupire un fabricant auprès de BFM Business. "20 ml c'est énorme. Au-delà, on s'expose vraiment à des risques de développement bactérien. Ce n'est pas hygiénique et il ne faut pas garder une culotte plus de 12 heures", complète Marion Goilav. Pour autant, "certaines femmes ont des flux à 25 ml par jour, ou d'autres ont fes flux rapides à 10 ml en 30 minutes. Si la culotte n'a pas une absorption suffisante sur une toute petite zone, c'ets la fuite. Donc 20 ml, c'est beaucoup, certes, mais on se doit de le proposer, surtout pour les femmes en situation de précarité dont on ne connait pas leurs flux", nuance-telle.

Autre point qui interroge, la durabilité exigée des produits deviendraient remboursés par la Sécu. "Ils requièrent 52 lavages au minimum, c'est insuffisant. Cela correspond à moins d'un an d'utilisation", expose Marion Goilav. "C'est dommage car cela revient à ouvrir grand les portes à la fast-fashion", regrette-t-elle. "Il n'ya aucune exigence non plus sur les PFAS. Si on ne fait pas les choses sérieusement, la réforme risque d'avoir mauvaise presse", ajoute-t-elle.

Enfin, il reste aussi à fixer les tarifs des culottes menstruelles et cups éligibles au remboursement. Chose loin d'être évidente dans un contexte budgétaire restreint, d'autant plus que les modèles de culottes menstruelles les plus durables coûtent entre 35 et 40 euros dans le commerce. Une quatrième version du cahier des charges est censée être adressée courant septembre aux fabricants et associations de patients. Reste à voir si le projet ne sera pas encore plus retardé qu'il ne l'est déjà, sous l'effet d'un vote de défiance du gouvernement.

Caroline Robin