BFM Business
Economie et Social

"Les arrêts maladie ont absolument explosé": face à la dérive, l'Assurance maladie prescrit de limiter les arrêts de plus de 15 jours

placeholder video
Face à l'envolée des indemnités journalières, l'Assurance maladie émet plusieurs recommandations à destination des pouvoirs publics et des parlementaires concernant les arrêts de travail.

Cela devient une habitude. Chaque début d'été, à quelques mois de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), la Caisse nationale de l'assurance-maladie (Cnam) produit un vaste rapport éclairant les pouvoirs publics et les parlementaires dans le but de réduire le déficit de la Sécu. Estimé à 16 milliards d'euros pour 2025, il pourrait, "sans inflexion majeure", se creuser davantage à l'horizon 2030 pour atteindre 41 milliards d'euros. Dévoilé mardi 24 juin, ce document long de 247 pages ne manque pas d'aborder l'épineux sujet des arrêts de travail.

Et pour cause: "les dépenses d'indemnités journalières ont fortement progressé, avec une hausse de 27,9 % entre 2019 et 2023, souligne la Cnam. Si cette progression s'explique à 60% par des facteurs démographiques (augmentation et vieillissement de la population salariée) et économiques (hausse du salaire moyen ou du Smic), la part restante est liée à une augmentation des arrêts et de leur fréquence".

Toutes durées confondues en effet, le montant des indemnités journalières (IJ) versées au titre d'un arrêt de travail en 2023 a dépassé les 10,2 milliards d'euros, dont 9,8 milliards pour les seuls arrêts de huit jours ou plus. C'est au total 2,3 milliards d'euros de plus qu'en 2019, avant la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, sachant que depuis le début des années 2010, le montant des IJ versées au titre des arrêts maladie progressait déjà structurellement.

Limiter la durée des arrêts de travail prescrits à un mois maximum

Pour y remédier, le rapport de la Cnam suggère de limiter la durée des arrêts de travail à 15 jours lorsqu'ils sont prescrits en ville, et à un mois en cas d'hospitalisation. Toute prolongation de l'arrêt de travail nécessiterait une nouvelle consultation médicale et serait limitée à deux mois.

"On a des prescriptions d'arrêts de travail qui sont trop longues, affirme Thomas Fatôme, le directeur général de la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam). Pour un trouble dépressif mineur, les recommandations scientifiques convergent et disent que l'arrêt de travail peut être utile, mais surtout pas trop longtemps, parce qu'il faut un suivi régulier", au micro d'Apolline de Malherbe sur RMC ce mercredi 25 juin.

A date, aucune limite à la durée de travail n'est prévue par la réglementation. Interrogé sur le plateau de BFM Business ce mercredi, Philippe Manière, président de Vae Solis Communications, partage les observations de la Cnam: "Les arrêts maladie ont absolument explosé, le temps d'arrêt maladie moyen a explosé, le nombre d'arrêts maladie moyen a explosé. Et tous les spécialistes de la question savent qu'ils sont, très généralement, délivrés par un assez petit nombre de médecins".

En effet, "sur les 72% des prescriptions d'arrêt de travail dématérialisées en 2024, 2,7% étaient des primoprescriptions d'une durée de plus d'un mois", détaille la Cnam dans son rapport. Et parmi les 28% d'avis d'arrêt de travail réalisés sous format papier cette même année, "10% étaient des primoprescriptions d'une durée de plus d'un mois".

Lutter contre l'absentéisme au travail

Sans surprise, le rapport de la Cnam formule aussi des recommandations visant à lutter contre l'absentéisme au travail. Ce phénomène "s'explique par de nombreuses situations et notamment le malêtre au travail et le manque de reconnaissance ; le manque réel ou perçu de perspectives professionnelles ; le vieillissement de la population salariée qui induit une augmentation du nombre de salariés malades au cours de leur carrière, le désengagement de certains salariés qui recourraient de manière abusive aux arrêts de travail", explique-t-elle.

L'Assurance maladie suggère ainsi la mise en oeuvre d'un système de "bonus/malus" lié au taux d'absentéisme au travail. "Ce dispositif pourrait prendre la forme dans un premier temps d’un accompagnement des caisses primaires et du versement d’un bonus en cas d’amélioration du taux d’absentéisme, détaille la Cnam. Ce bonus pourrait être valorisé pour permettre un partage des gains entre l’entreprise et l’Assurance Maladie en lien avec la diminution des arrêts maladie". Et pour inciter les employeurs à réaliser le plus d'efforts en la matière, "un possible malus pourrait être mis en place pour les entreprises qui resteraient très atypiques malgré l’accompagnement fourni par les caisses".

Autre piste pour prévenir l'absentéisme : le télétravail. "Force est de constater que certaines pathologies ou accidents peuvent limiter la capacité des personnes à se déplacer sans pour autant les empêcher de travailler lorsque leur activité professionnelle le permet", analyse la Cnam. Passé ce constat, la Caisse préconise la prescription de télétravail, une option "déjà proposée spontanément par des prescripteurs [qui] s'imposerait à l'employeur pour un salarié qui, habituellement, exerce un ou deux jours par semaine son activité professionnelle en télétravail". De cette manière, l'Assurance maladie n'aura pas à verser d'indemnités journalières et génèrerait donc des économies.

Une autre option suggérée par la Cnam, qui peut être complémentaire aux mesures énoncées ci-dessus serait enfin de transférer aux entreprises le financement des sept premiers jours d'arrêt de travail et d'instaurer en contrepartie une journée de carence d'ordre publique afin de dissuader les arrêts sans lien avec la maladie. Actuellement, les salariés du privé sont indemnisés par l'Assurance après une carence de trois jours qui est parfois couverte par l'employeur selon les accords d'entreprise.

Caroline Robin