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Pass sanitaire: un salarié peut-il être licencié pour refus de vaccination?

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La loi de sortie de crise prévoit la suspension du contrat de travail pour les salariés visés par l'obligation vaccinale. En pratique, ils pourront aussi être licenciés par leur entreprise même si , en cas de contestation du salarié, cela se fera à l'appréciation du juge.

Gros flou juridique autour du projet de loi de sortie de crise sanitaire? Le texte, adopté dimanche soir par le Parlement, encadre la vaccination obligatoire de certains salariés et surtout les conséquences disciplinaires en cas de refus. Mais la version définitive votée a provoqué le mécontentement du ministère du Travail, ce lundi.

En effet, le gouvernement souhaitait une suspension du contrat de travail pour les salariés concernés qui refuseraient la vaccination. Une suspension qui courrait tant que ces derniers ne se seraient pas décidés. Dans le projet de loi initial, la suspension pouvait durer jusqu'à deux mois avant un éventuel licenciement.

Mais ce délai deux mois a finalement été supprimé par les parlementaires. Selon le gouvernement, cette suppression ouvre donc la voie à des licenciements immédiats du salarié. "Le texte actuel sera moins protecteur pour le salarié, puisqu'il pourra être procédé au licenciement avant la période de deux mois" grince-t-on au ministère.

La logique du texte penche pour la suspension

En effet, plusieurs décisions de la Cour de cassation ont confirmé le licenciement d'un salarié concerné par l'obligation vaccinale, bien avant la crise du Covid-19. En 2012, un employé des pompes funèbres soumis par la loi à une vaccination obligatoire contre l'hépatite B a ainsi été licencié à bon droit par son entreprise. Pour le Covid-19, "c'est la même logique juridique" confirme auprès de BFM Business Xavier Dulin, avocat en droit du travail chez Barthélémy Avocats. En théorie, le licenciement est donc bien possible.

Mais la justice, si elle est saisie, regardera évidemment de près les conditions du licenciement et les textes en vigueur.

En 2016, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait publié un avis sur la question, proposant quatre critères à prendre en compte pour approuver la vaccination obligatoire des personnels de santé: la prévention d'une maladie grave, le risque élevé d'exposition pour le professionnel de santé, le risque élevé de transmission soignant-soigné et l'existence d'un vaccin efficace et bien toléré, dont la balance bénéfices-risques est largement en faveur du vaccin.

Sur ce plan, il serait difficile pour un salarié de contester son licenciement.

"Mais la logique du texte penche davantage pour la suspension du contrat de travail" note Xavier Dulin.

Entre les congés qu'il est possible de poser (avec l'accord de son employeur) et la possiblité d'être réaffecté à un autre poste loin du public, le texte de loi est cadré pour donner des marges de manoeuvre au salarié. Probablement, la justice prendra-t-elle cette lecture en compte en cas de litige.

L'objection de conscience n'empêche pas le licenciement

Pour Xavier Dulin, deux cas pourraient, en réalité, ouvrir la porte à un licenciement immédiat: celui de l'opposition de principe du salarié lorsque la suspension du contrat ne fait que retarder une situation intangible. Et celui d'un problème d'organisation qui mettrait l'entreprise dans de grosses difficultés économiques. Des motifs qui seront, là aussi, librement appréciés par la justice.

En revanche, il existe un flou juridique avec le texte tel qu'il a été adopté. Le régime transitoire de sortie progressive de l’état d’urgence, qui devait être prorogé par le projet de loi au 31 décembre, a finalement été limité au 15 novembre et le pass sanitaire avec lui. Que se passera-t-il dès lors pour les salariés toujours suspendus? cela ouvre-t-il la porte à un licenciement plus aisé pour l'entreprise? Difficile à dire pour le moment.

Dernière enjeu: le code de Santé publique prévoit une disposition particulière sur les objections de conscience. Selon son article L1111-4, "aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment."

Or, peut-on retenir ce consentement sur des vaccins aussi récents? Les salariés récalcitrants pourront probablement user de cet article juridique mais cela n'empêchera pas le licenciement, prévient Xavier Dulin. "Il s'agira alors d'un licenciement pour motif personnel non disciplinaire" indique-t-il.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business